On ne fera pas chou blanc
Publié le 09 février 2024
Laetitia Chalandon
En plein dans le chou !
Février 1994. 12h30. Sur la vieille table de la cuisine, nappe en plastique et planche à découper. J’entends les craquements francs et puissants du chou rouge sous le grand couteau.
Je revois les murs blancs et bleus décrépits de notre ancienne maison de pierre, réchauffés grâce à une cuisinière affaiblie par l’ampleur de la tâche. Pièce encombrée de vaisselle, d’étagères et de chaises.
La température se maintient à 17°C. Dehors quelques degrés seulement. Tout est gris et pluie. Nous, on vit dans l’idée de la neige et cette image suffit à effacer la réalité boueuse et humide. Derrière mon pull et devant le feu, je regarde, les adultes à la tâche.
Une moue intérieure. Du chou... et rouge en plus ! On se nourrit principalement du jardin. Et si un légume se trouve déjà dans le frigo, on en cueillera pas de nouveau. Il y régnait un chou rouge depuis quelques jours... Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne soit servi au menu. Quelqu’un prenant sur lui le courage de le proposer, avec l’excuse de cuisiner pour ne pas gaspiller. Il y avait toujours beaucoup de monde à notre table. Les bureaux étaient partis intégrants de la maison. Malgré le froid, les midis étaient chantants, effervescents. Une dizaine de personnes s’activant pour mettre la table, apporter les plats et poursuivre les discussions du matin.
Une magnifique boule dense et compacte. Bordeaux, aux reflets blancs, prête à virer violet. Je déteste cette couleur. Celle d’un légume au bord du flétrissement. On le voit abandonner ses atouts, rappelant sa magie en son cœur pour prolonger un peu de sa vie. Et l’amertume gagner du terrain tandis que la fraîcheur s’évanouit.
Le chou rouge allait être sorti du four, dans son plat à gratin. Il était bien souvent cuit à l’eau, ou pas très assaisonné. C’est le souvenir que j’ai gardé. Une texture molle, violette, à la fois fade et repoussante.
Mais pour l’heure, il passe sous la lame, se multipliant en de fin et larges rectangles.
J’aimerais rattraper ses derniers soupirs de gourmandise. Lorsque princier dans le jardin, il ponctuait les allées de poireaux de son rouge chatoyant. Pourquoi fallait-il qu’il perde autant de son attractivité ?
Il y aurait du chou rouge à midi et tout espoir de joie à l’appel tonitruant du « A TAAAAAAAABLE» était anéanti.
Ma fourchette hésitante, ralentissant exagérément chaque mouvement. Des regards jetés prudemment tout autour de la table : qui aime manger du chou rouge ? Je vois bien qu’il n’enchante personne alors pourquoi diable en planter ?
Pourquoi manger du chou rouge ?
Le chou rouge permet de nous nourrir. Il contient les apports en vitamines et minéraux nécessaires pour combattre le temps endormi. Et il se conserve longtemps. Quand plus rien ne pousse, il devient une ressource précieuse. Il paye le prix de cette résistance au froid en perdant de ses qualités gustatives pour se préserver. Plus on avancera dans les mois et plus, il sera difficile de l’apprécier. C’est pourquoi la cuisine est primordiale. Pour trouver un temps de réconfort avant de plonger à nouveau dans les tumultes des heures et de notre présence sur terre. En être privé est une lourde injustice. Car cuisiner demande des moyens, un savoir-faire et des ingrédients.
Aujourd’hui, ces préoccupations de fille issue de la ruralité paraissent désuètes quand tous les légumes se trouvent à n’importe quel instant. Les choix foisonnent et le chou, finalement, pourrait bien disparaître au profit de quelques vitamines en cachet. Mais quand on a grandi au contact du vivant, quand on a vécu un émerveillement enfantin, il est très difficile d’accepter qu’il soit remplacé par une boite en plastique.
J’ai vu ce chou grandir, j’ai vu les adultes lui prodiguer des soins. Et si je l’ai boudé enfant, j’en reconnaissais une incroyable source d’accomplissement et de sens.
Vous pourrez retrouver tous les bienfaits du chou dans cet article
Associer le chou rouge
Dans la capsule, « j'ai une minute pour vous faire aimer le chou rouge », je vous propose d’aller chercher le sucre présent dans ce légume. Côté associations, les fruits noirs fonctionnent vraiment bien. La fin de l’été est idéale, avec les mûres, les raisins, les prunes... En hiver, on les retrouve sous forme séchée ou de vinaigre, de vin rouge, de confitures... Je vous avais promis la recette du chou rouge au miel et déglacé au vinaigre, elle arrive juste au-dessous.
Le chou peut se consommer quasiment toute l'année. Idéalement de la fin de l'été au début du printemps.
Cuisiner le chou rouge
En hiver, façon tajine ou ragoût : compotée de chou rouge aux abricots secs, amandes et pruneaux.
Vous pouvez blanchir le chou rouge quelques minutes. Une petite astuce pour qu’il ne ramollisse pas trop, ni ne perde ses pigments : 3 cm d’eau suffisent ! Pour un chou entier, laissez le 8 à 10 min. Pour des quartiers, 4 à 5 min. Puis le plonger dans l’eau glacée, légèrement citronnée ou vinaigrée. Sa couleur rose reviendra instantanément.
Réutilisez l’eau de cuisson pour faire un bouillon ou une soupe. C’est là que se concentrent toutes les vitamines et les minéraux du chou rouge.
Recette - tombée* de chou rouge déglacée au miel et au vinaigre de cidre
- 1/2 de chou rouge
- 2 échalotes
- 1/2 verre de vin rouge (aux accents de fruits noirs)
- 1 feuille de laurier et 1 de sauge
- 2 c à s de miel
- 3 c à s de vinaigre de cidre
Vocabulaire :
* tombée : cuire les légumes avec ou sans corps gras pour retirer une partie de leur eau
** émincer : couper en tranche mince
*** suer : éliminer une partie de l’eau d’un aliment à feu doux et dans un corps gras, sans nécessairement le colorer
**** déglacer : ajouter un liquide (alcool, vinaigre, bouillon...) à une cuisson pour décoller les sucs de la casserole et en faire un jus.
Émincer deux échalotes.
Dans une casserole, les faire suer avec un peu d’huile d’olive ou de beurre.
Émincer une moitié de chou rouge et l’ajouter aux échalotes. Saler, poivrer. Remuer pendant quelques minutes, puis déglacer avec un verre de vin rouge.
Ajouter le laurier et la sauge. Remuer de temps en temps durant 10 à 15mn et laisser la vapeur s'échapper.
Dans un bol, mélanger le miel et le vinaigre de cidre
Lorsque le chou a réduit de moitié et qu'il n'y a plus d'eau, ajouter le miel au chou. Remuer.
Ajuster le goût si nécessaire en rajoutant du miel, ou du vinaigre.
Cuire à feu doux pendant 5 à 10 min
À déguster chaud avec de la polenta, de la volaille ou du porc. Se glisse très bien froid dans les sandwiches comme un condiment et peut convenir, agrémenté de quelques fruits secs, en salade avec feuilles de roquette, de mâche ou jeunes pousses d’épinard.
tombée de chou sur bun, poireaux, champignons rôti sauce soja, saucisse de porc
Bien tenir son couteau en cuisine
Christophe Rocourt vous apprend comment faire dans Carnet de Chef à (2'29)