Concours de cuisine durable

Actualité

Publié le 31 octobre 2024

Laetitia Chalandon

camille barbier

La cuisine durable apparaît comme une nécessité ?

Un paradoxe soutenu ces trente dernières années

Cuisiner de saison, en fonction des produits du terroir tout en respectant les ressources peut paraître du bon sens en restauration. Pour le soin apporté aux goûts, aux aliments, aux filières et aux savoirs faire. Pourtant, dans les usages, elle est l’un des secteurs où la logique du tout disponible, tout le temps a été porté à son paroxysme. Parce que les moyens étaient à disposition, cette culture a pu s’épanouir des grandes maisons aux cantines, jusque dans les écoles de cuisine.

La cuisine est un terrain de jeu, un moyen d’expression et d’affirmation. Elle délivre des émotions et des sensations qui s’inscrivent durablement en soi, nous marquant avec force. Elle est aussi un outil de sublimation des ingrédients que nous façonnons, récoltons et élevons pour nous nourrir. De la technique culinaire, découle la construction d’une culture, d’une identité, d’une image sociétale, d’un art. De la domination sur les êtres vivants, aux partages de joies simples, de l’exigence à l’écoute des disponibilités, le panel est large. Manger nous construit. À la fois besoin vital et ouverture de l’esprit, notre rapport au plat raconte notre manière d’habiter le monde et de nouer des relations. Il y a encore beaucoup à faire pour se représenter et construire une gastronomie économe en lien avec les territoires et les saisons tout en garantissant ce lien émotionnel et fort avec les goûts.

La restauration, puissant levier pour une alimentation durable

J’ai été curieuse de me rendre ce mois-ci, le lundi 14 octobre au deuxième concours de cuisine et de pâtisserie durable. Imaginé et impulsé par le chef étoilé Christian Têtedoie, il est soutenu et organisé par la Fondation pour la cuisine durable by Olivier Ginon, en partenariat avec mes Producteurs mes Cuisiniers et le Centre de Ressources de Botanique Appliquée. Cette année, le concours cuisine était présidé par les Chefs Christian Têtedoie et Mauro Colagreco, le concours pâtisserie, faisait son entrée avec le Chef Pierre Hermé.

L’un des fondements du concours au départ, était de mettre à l’honneur des semences capables de résister aux aléas climatiques et d’anticiper l’agriculture de demain à travers des valeurs nutritionnelles et gustatives intéressantes. Si l’année précédente, il avait été demandé aux candidats un plat végétarien, cette année, le travail de soutien auprès des éleveurs a été mis en avant avec l’obligation de cuisiner une volaille, céréale et/ou légumineuse de mon terroir avec le pois carré imposé, fourni par mes Producteurs mes Cuisiniers

Le pois carré est une légumineuse peu représentée dans nos assiettes, également connue sous le nom de gesse. C’est l’un des plus anciens légume sec consommé par les humains. Riche en protéines et en acide gras, le pois carré se rapproche des fèves et des pois. De la rondeur et une texture nourrissante.

La volaille est l'un des animaux le plus consommé dans le monde avec 75 milliards de poulets abattu en 2022 (dont 689 millions en France selon une enquête d’après l'Agreste )

En acceptant de s'approvisionner en proximité et en direct, vers une agroécologie, la logique de consommation de viande est repensée pour privilégier des élevages paysans aux rendements plus faibles, plus économes en énergie, plus soucieux de l'environnement et du bien-être animal. En somme, baisser la consommation de viande tout en augmentant sa qualité et la rémunération des agriculteurs.

Des candidats engagés au quotidien, se mettent au défi

Huit candidats sélectionnés sur dossier, (moyenne d’âge 23 ans), venus de différentes régions de France, de la haute gastronomie au bistrot de quartier et de la cantine scolaire, devaient réaliser un plat pour huit personnes en trois heures.

Le plat final n’est pas le plus important. C’est surtout la démarche qu’ils ont eue pour la création de ce plat. Les bons réflexes pour cette réflexion et la gestion dans la recette et dans la pratique. Gestion des déchets, utiliser le produit dans sa totalité, ressource proche de là où ils sont installés. C’est ça que j’attends des candidats - confie le Chef triplement étoilé, Mauro Colagreco

Les candidats réfléchissent au quotidien à transformer leur pratique en essayant d’économiser au maximum les énergies et les ressources. Ils observent des techniques de cuissons les moins gourmandes possibles en gaz et en électricité, réutilisent et optimisent son eau de cuisson et de lavage. Essentiellement pour des questions de santé, il a été demandé de bannir les revêtements anti-adhésifs et d'exclure au maximum le plastique de la cuisine en utilisant des contenants en verre. Les candidats se sont illustrés en remplaçant le papier film par des torchons, par de la cire d’abeille ou par du film bio dégradable.

Mauro Colagreco

Chef Mauro Colagreco - Président du concours cuisine durable

Il ne suffit pas de trouver un super éleveur avec une démarche circulaire, il faut tenir le partenariat dans la durée - Camille Barbier, chef chez Belle Lurette, candidat au concours

Une journée de concours, riche d'intensité et de rencontres

En cuisine

Nous sommes invités à suivre les préparations en cuisine. Les candidats sont des lignes tendues vers leurs objectifs. Musicalité feutrée des vestes blanches qui s’affairent dans les sons des couteaux, des ustensiles en inox et en verre, des pas rapides et maîtrisés, de quelques «chaud !» adressés aux journalistes qui peu à peu, ont envahi les espaces de travail.

Un commis leur a été attribué sur place. Ils venaient des écoles de cuisine de l’Institut Lyfe ex Bocuse, de l’école François Rabelais et de Vatel Académie. Le management comptait dans la note finale. Marie-Odile Fondeur, déléguée générale de la fondation pour la cuisine durable by Olivier Ginon, explique : ils doivent également prendre en considération les problématiques du personnel. Comment travailler et arriver à un résultat avec quelqu’un que l’on ne connaît pas. La durabilité, passe aussi par l'humain.

Les binômes ont pu partager un temps privilégié de partage et de transmission. Les candidats se sont investis dans ce rôle de guide, à travers des explications calmes, sereines, beaucoup d'écoute mutuelle, de gestes mimés, de regards et d'attention.

"On m’a attribué quelqu’un en reconversion professionnelle, il a cinquante-cinq ans, il a le double de mon âge, ça fait seulement un an qu’il cuisine. Le premier truc qu’il m’a dit c’est «ça je sais pas faire.» j’ai répondu «ne t’inquiète pas, je vais tout t’apprendre. On va tout faire.» Quand on a envoyé le plat, j’avais l’impression que ça faisait dix ans qu’on travaillait ensemble ! On s’est tapé dans les mains, on s’est pris dans les bras. Il y a vraiment une alchimie qui est née, c’était trop stylé ! Il y a une transmission que se fait et c’est génial, c’est vraiment important. Et pour eux (les commis, étudiants en cuisine) et pour nous !" témoigne Suzanne Vannier après l'épreuve

Flavien Guarato

Flavien Guarato et son commis

jury de dégustation

représenté par les chefs Michaël Arnoud, Christophe Carlier, Bastien de Changy, Fabien Ferré, Jérémy Galvan, Thibault Ruggeri

à l'oral

Sortis des cuisines, les candidats devaient présenter un oral de dix minutes pour expliquer leur plat et mettre en avant leur choix de durabilité. Deux catégories de candidats, les plus jeunes issus de formations culinaires et techniques très solides, et auprès de grands chefs, incarnaient la démarche d’établissements ayant effectué un virage à 90° : « avant, je ne me souciais pas de la durabilité en cuisine, ma formation n’a pas été faite en ce sens. J’avais même un regard assez critique par rapport à cette posture. Aujourd’hui, avec mon expérience au restaurant, je veux vivre comme ça tout le temps. Je n’ai pas fait de cuisson sous vide, j’ai optimisé mon eau de cuisson trois fois et j’ai effectué une petite cuisson minute pour ma volaille. Dans ma poubelle à compost, il n’y a quasiment rien. J’ai tout utilisé dans ma recette. » confie Laurina Maillot, 22 ans, Cheffe de partie à l’Anona (Paris 17ᵉ) avant de poursuivre « cette éducation, elle peut se faire à n’importe quel âge. On doit expliquer notre démarche auprès des clients et les embarquer avec nous. »

Camille Barbier passage à l'oral devant jury

Camille Barbier passage à l'oral

Et de l’autre côté, des reconversions, de jeunes gens également, issu de formation juridique ou de commerce. Ils tiennent la cuisine de petits restaurants de quartier et impulsent les changements. Ils portent des valeurs motrices dans la recherche de collaboration à long terme avec les producteurs : « ça a été dur de trouver des œufs bios et locaux par exemple. Ça m’a vraiment pris du temps. Il a fallu que je me déplace, que l’on me fasse confiance et qu’on trouve une manière de fonctionner. C’est comme avec la viande. Il ne suffit pas de trouver un super éleveur avec une démarche circulaire (nourrir ses bêtes avec ses propres céréales), il faut tenir le partenariat dans la durée. Là on s’engage vraiment. Pas juste pour une journée de concours. C’est très important. » confie Camille, chef chez Belle Lurette (Lyon 9ᵉ). Un effort d’autant plus remarquable puisque ces petits restaurants ont des marges courtes et moins de visibilité.

S’ils ont postulé pour ce concours, c’était pour se challenger sur les recettes ou pour obtenir une reconnaissance. De montrer ce qui se fait sur le terrain, parfois bien éloigné des étoiles, pour aller jusque dans les cantines scolaires. Pour Grégory Monic, chef gérant en restauration collective, participer à ce concours, c’était aussi encourager ses partenaires, les parents d’élèves et les entreprises vers une alimentation plus durable qu’il s’efforce de faire évoluer dans sa cuisine.

Ça devrait être instauré depuis bien longtemps et dans d’autres concours également. On est un peu en retard sur la chose. Il faut les faire avancer.

Suzanne Vannier - gagnante du concours cuisine durable

Suzanne Vannier, gagnante du concours de cuisine durable 2024

Les résultats ont priorisé l’équilibre entre le goût et la démarche. Si certains plats ont été salués pour leur engagement durable, ils ont manqué de technique culinaire et cela les a pénalisés. D’un autre côté, ont été utilisés des ingrédients maladroits, comme le maïs et des produits d’un terroir très éloigné du lieu de résidence des candidats. Pour les Chefs Jérémy Galvan et Christophe Carlier, jury à la dégustation à l’aveugle, certains plats ont manqué de goûts, de maîtrise. «Il y avait des choses très intéressantes, clairement durables, on pouvait le lire dans l’assiette. Mais l’équilibre n’y était pas. Il y a un plat qui s’est largement démarqué, et qui cochait les cases. Une assiette réconfortante et pleine d’émotion. »

« C’est un concours qui engage, qui défend beaucoup de valeurs importantes que je défends et que défend aussi l’entreprise dans laquelle je travaille. Et il fallait mettre ça à l’honneur aujourd’hui. Ça devrait être instauré depuis bien longtemps et dans d’autres concours également. On est un peu en retard sur la chose. Il faut les faire avancer. Et puis j’avais envie de me remettre le pied à l’étrier dans les challenges personnels » - explique Suzanne Vannier, gagnante du concours avec son assiette Géline de Touraine, carotte du jardin, amarante du Berry

plat gagant concours cuisine durable

Géline de Touraine, carotte du jardin, amarante du Berry - assiette de Suzanne Vannier

La priorité pour elle : mettre à l’honneur les producteurs : « c’est notre rôle, d’aller les dénicher, de trouver les petites pépites et de les mettre en valeur. On a l’avantage de travailler avec eux et de les emmener aujourd’hui. Je suis venue avec tout mon terroir. » Originaire du Loir-et-Cher, elle a présenté une Géline de Touraine. Une race de poule rustique, à la chair blanche, très délicate, quasiment disparue parce qu’elle ne supporte pas d’être enfermée. Le restaurant de Christophe Hay, Fleur de Loir (Blois), où Suzanne officie en tant que sous-chef, garanti un achat régulier à une éleveuse du territoire, participant ainsi à sauvegarder la filière qui s’amenuise. Une poignée d’éleveurs poursuivent l’activité en France.

« La cuisine durable devrait être une charte systématique » rappel Jérémy Galvan. Petit fils de paysans maraîcher, pour lui, ça ne devrait pas être un sujet, mais une implication au quotidien «je repars avec de l’espoir. La jeune génération est sensible à la durabilité. On observe une mise en place naturelle dans les cuisines alors qu’ailleurs, c’est peut-être plus compliqué. Avec ce concours, on leur donne du crédit et ils sont plus confiants. On apporte de la légitimité à cette action.» Un petit regret, que la légumineuse, et notamment le pois carré fût un peu trop discret.

Gagnante du concours

Suzanne Vannier remporte le concours de cuisine durable

Le concours a également récompensé la coopérative Graines Équitables, montée en SCIC, elle propose la production et la commercialisation de céréales, de légumineuses et de fourrage biologique, de la mutualisation d’outils, de l’enherbage, des parcours de brebis sur les surfaces en garrigues et vignes... en Occitanie. Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’INRAE était présente pour remettre ce prix. « Nous avons besoin de reprendre une main collective sur le système alimentaire et de revenir vers un lien entre le producteur et le mangeur. La filière courte apporte une bouffée d’air et de dignité aux agriculteurs. Et l’engagement des Chefs en bout de ligne est très important. Car la durabilité c’est une autre façon de penser, de travailler les produits, de faire.»

Pour Jean-François Tedesco, fondateur de mes Producteurs mes Cuisiniers, tout l'enjeu « est de nourrir sainement les gens. On ne peut plus se permettre de s'empoisonner en allant au restaurant. L'approche systémique entre tous les acteurs est une porte de sortie. »

Une reconnaissance d’un manque de prise en considération dans la haute gastronomie, de l’environnement et des saisons qu’avoue Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie, l’alimentation et les arts culinaires, présent à cette journée. Une journée de cuisine durable, où des stades de prises de conscience et différentes actions dans des milieux très diversifiés, ont pu se croiser et s’enrichir.

Un consensus pour valoriser des démarches plus économes, en lien et en soutien aux territoires, pour faire avancer le métier vers plus de respect de la nature et des Hommes. À voir comment les équilibres pourront s’ajuster entre production, économie, santé et environnement, comment l’industrie agro-alimentaire fera avec ce schéma sans le contraindre ou le vider de ses idées.

Mauro Colagreco se place dans l’action «J’aurai des centaines de peurs différentes, mais je pense qu’aujourd’hui, on n'a pas le droit d’avoir peur. Il faut justement réagir