Des étudiants transforment les légumineuses en Madeleine... de Proust

Actualité

Publié le 08 juillet 2024

Laetitia Chalandon

crumble pois chiche

Des alliées remisées

Les légumineuses... délaissée progressivement de nos assiettes au profit d’une viande industrialisée et plébiscitée après les années 60. Il en subsiste quelques vestiges culinaires, mais en dehors de l'houmous en apéro et de la salade de lentilles aux échalotes achetée toute prête, les légumineuses restent loin de nos assiettes. En ne sachant pas comment les préparer, sans repère sensoriel et gustatif, la motivation à les ramener dans notre quotidien s’en trouve forcément affaiblie.

Pourtant, elles représentent une voie de solutions pour les enjeux alimentaires, agricoles et sanitaires de demain. Les légumineuses contiennent des propriétés nutritives riches et très variées. Apport en protéine (à condition de l’associer avec une céréale ou une protéine animale), apport en fibre, en minéraux et en vitamines. Et elles sont plutôt bon marché.

* Les plus forts consommateurs de légumineuses sont de ce fait mieux protégés contre le risque de mortalité par infarctus et par cancer. Leur consommation régulière pallie notre carence en fibres et nourrit notre microbiote. Un régime plus riche en légumineuses permet aussi de réduire fortement l’empreinte environnementale, car les protéines végétales nécessitent de 5 (porc, poulet) à 10 (viande rouge) fois moins de ressources (terre, eau, énergie) et émettent de 5 (porc, poulet) à 10 (viande rouge) fois moins de GES et d’azote. La culture des légumineuses permet aussi d’allonger les rotations de culture, ce qui contribue à réduire l’utilisation des pesticides et facilite la gestion des mauvaises herbes. Tous ces effets vertueux au champ ont un impact également positif à l’échelle planétaire avec moins d’émissions de gaz à effet de serre (GES) du fait d’un moindre besoin en engrais azotés de synthèse. Par exemple, remplacer une culture de céréale par du pois et/ou du soja dans le cas d’une rotation de 3 à 5 ans, permet de réduire de 20 % les apports d’azote de synthèse, de 80 % la formation d’ozone, de 90 % l’eutrophisation des eaux et des GES, et de 15 % l’acidification des océans - source INRAE - "Les légumineuses : bonnes pour notre santé et celle de la planète" - 17/10/23

Faire revenir les légumineuses dans nos imaginaires gustatifs

Mais qu’en est-il du goût ? En cherchant bien, je suis certaine que vous trouverez un souvenir savoureux. Comme un réconfortant velouté de pois cassés lors d’un grand froid de novembre ou de haricots coco imbibés et ruisselants de gras de canard, parfumés d’ail en chemise et du sourire ridé et rassurant d’une grand-mère gourmande.

C’est pour cette raison que le 21 juin dernier, je traverse le jardin clos de l’Hôtel Dieu pour me rendre à la Cité de la Gastronomie de Lyon. Il s’y tient un événement culinaire particulier et inspirant, retraçant une année de travail et de collaboration : la présentation d’un livre de recette « Les légumineuses passent à table », un ouvrage collectif réalisé par des étudiants et préfacé par le Chef Christian Têtedoie.

Chef Christian Têtedoie en dédicace

Chef Christian Têtedoie en dédicace

Chef Christian Têtedoie

Cet ouvrage, que les jeunes ont fait, est très intéressant. La démarche est formidable : que ce soit la nouvelle génération qui s’approprie les légumineuses alors que nous, nous les avions un petit peu laissées de côté, pour être tout à fait honnête. Même si les chefs y sont retournés il y a une dizaine d’années. Ça prend tellement de temps à changer les mentalités !

Un partenariat entre deux Instituts de Formation

Valoriser les compétences par un cas pratique et transversal

Ce projet naît de la volonté de Caroline Bataillard, directrice des études de DUT Diététique à l’université Lyon 1 et de Nicolas Tête, responsable de la spécialisation Bien Manger, Bien-Etre en 3e année du Bachelor Management International des Arts Culinaires de l’Institut Lyfe (Ex Paul Bocuse), de proposer à leurs élèves, un partenariat annuel et inédit entre leur filière : réaliser des recettes saines et savoureuses avec huit légumineuses. Il s’inscrit dans le programme national nutrition et santé.

Les élèves se sont constitués en huit groupes de quatre (trois étudiants Lyon 1 et un étudiant Lyfe). Leur contrainte : choisir une légumineuse pour réaliser une entrée, un plat, un plat végétarien et un dessert en respectant nutrition et art culinaire. Lentille verte, lentille corail, pois chiche, haricot rouge, haricot blanc, soja, fève et cornille ont été sélectionnées pour servir d’inspiration aux élèves.

Tout au long de l’année, ils auront eu l’occasion de s’interroger, de questionner, de tester et d’élaborer des plats.

Chef Formateur Alexandre Bois, Caroline Bataillard et Nicolas Tête

Chef Formateur Alexandre Bois, Caroline Bataillard et Nicolas Tête

Collaborer à travers l'échange de savoirs...

Léa Chambon, étudiante en diététique, a choisi de travailler avec la lentille corail. Cette légumineuse les a attirés pour sa couleur et le potentiel que leur groupe allait pouvoir en tirer. Elle explique que le premier défi, a été d’intégrer les légumineuses dans les desserts : De notre côté, on voulait faire valoir les apports nutritionnels des aliments, et du côté des chefs, l’art d’associer les saveurs. Au départ, nous pensions à des recettes assez simples et notre chef nous a vraiment ouvert à l’acidité, nous a proposé d’ajouter des herbes, qui allaient complexifier les goûts et amener de la gourmandise.

Le beurre, ça a été un grand débat ! En terme nutritionnel, ce n’est pas terrible. On a essayé de trouver d’autres cuissons permettant d’alléger certains plats. Nous avons favorisé l’huile d’olive, les cuissons au four, les bouillons, et des ajouts de matières grasses riches en oméga 3 comme l’huile de colza, de noix, de lin...

Dans la pièce attenante aux conférences, une cuisine est mise à disposition. Le Chef Alexandre Bois, chef formateur à l'Institut Lyfe (ex Paul Bocuse) supervise la mise en place des verrines servies au public. Quatre recettes ont été sélectionnées pour représenter le livre.

Le chef explique qu'il a fallu pour les étudiants, trouver le bon dictionnaire pour communiquer et vulgariser au maximum. Prendre conscience qu’ils n’aient pas tous les mêmes notions, et se mettre à niveau des autres. C’est ce qu’on a retrouvé au final dans la rédaction des recettes.

Les échanges ont bien fonctionné et la transversalité des matières a payé.

Les élèves de diététique ont apporté de la rigueur sur l’hygiène alimentaire. On leur a demandé de faire la preuve d’une valeur nutritionnelle dans ce qu’ils proposaient, et de pousser dans le côté environnemental. Ça a fait grandir nos élèves parce que dans les formations culinaires, on ne regarde par forcément l’utilisation environnementale du produit. Ou en tout cas ce n’est pas mis en avant malheureusement.

jeune fille souriante

Léa Chambon - étudiante en diététique

... et construire des univers sensoriels

Dans les quatre propositions, on retrouve de la douceur, de la rondeur. Une gourmandise, légère qui amène avec réconfort vers des rivages plus inattendus. À travers la dégustation de ces bouchées et l'ambiance dans la salle, le pari de réunir deux disciplines opposées tout en respectant leur aspect propre est dépassé.

Chef Alexandre Bois : Les premiers essais marchaient plus ou moins bien et il a fallu ajuster. Mais preuve en est, ils se sont senti la liberté de créer ce qui leur faisait envie, à partir de la légumineuse qu’ils avaient choisie. Et quand on a vu les essais finaux, après les retouches, il y a certaines choses qui nous ont bluffé parce qu’en termes de goût, on était surpris, étonnés, dérangés dans nos habitudes, mais tout est bon ! Le pari est rempli, c’est sûr

Recettes présentées au public

Ballotine végétale panée aux haricots rouges, miso et sauce curry

Quenelle de haricot blanc, bouillon de légumes

Houmous au miel et une saveur

Délice de cornille coulant au chocolat

Les élèves vont également porter le projet de parution, avec toutes les compétences annexes que cela demande : financements, soutien, contenus pédagogiques, mise en page et corrections.

Manon Bequin, étudiante en diététique, explique que la promotion a mesuré l’ampleur du projet en se rendant sur le site de l'Institut Lyfe, et qu'après la constitution des groupes, ils se sont lancé avec beaucoup d'engagement.

Nous sommes très fiers de ce projet et de le tenir dans nos mains. Créer des recettes avec de futurs grands chefs, c’est incroyable. Le projet nous a réuni et grâce à nos liens, le livre est sorti.

coulant chocolat cornille

Caroline Bataillard

Ce que je trouve génial avec leur production, c’est qu’elle rend la légumineuse bonne, avec une apparence gastronomique et pas trop compliquée à faire. Donc pour moi, c’est le combo gagnant pour arriver à faire une recette qui va vivre. Car l’idée, c’est bien qu’elles vivent ces recettes.

Ce sont des aliments faciles à cuisiner quand on sait faire. En fait, c’est aussi simple que de faire des pâtes On n’est pas dans le reflex. Alors qu’en fait, on pourrait. En plus elles sont variées. Ce que je trouve d’intéressant aussi, c’est qu’il y a beaucoup de productions françaises. En termes d’impact environnemental et sociétal, ça a du sens.

Nicolas Tête

On a cherché à rapprocher ces deux mondes que l’on oppose. On voulait se lancer avec des étudiants prêts à être partie prenante. Ils se sont investis à 300% et sont allés chercher les compétences en photo, maquette et logo pour sortir un bel ouvrage.

Les Légumineuses passent à table

Le livre se veut complet et incarné avec des introductions pour présenter l'histoire de chaque légumineuse et celle de chaque élève. On y découvre leur rêve, leur aspiration, leur vision de l'alimentation.

Les recettes sont toutes accompagnées de bonus info nutrition et point environnement.

Elles ont l'avantage d'inscrire les légumineuses dans un nouvel horizon, tremplin à l'imagination gustative. Bien qu'elles soient vulgarisées au maximum, elles nécessitent tout de même un peu de savoir faire. Un glossaire a été ajouté pour faciliter les préparations.

Chef Alexandre Bois :

Je souhaite qu’il y ait de plus en plus de partenariat comme ça, car ce sont eux l’avenir et ils y ont mis tellement d’énergie, pour moi, c’est vraiment un message d’espoir. Ils ont compris l’enjeu, ce n’était pas facile, le résultat est bien et je pense qu’ils en sont fiers. Il faut pousser ce genre de message et dire aux gens qu’on peut le faire, le faire maintenant parce qu’après, ce sera trop tard.

couverture du livre huit cuillères remplies de huit légumineuses différentes"Les Légumineuses passent à table" - Institut Lyfe (Ex Paul Bocuse) - IUT Lyon 1 - juin 2024