un café éthique à Lyon

Tribune d'artisan

Publié le 27 octobre 2023

Laetitia Chalandon

Versage de café dans une cuve

Est-ce que vous vous souvenez de votre premier café ?

Premier café

Le café m'évoque la grande tablée en bois branlant de mon enfance, entourée d’une dizaine de personnes prêtes à refaire le monde. Le temps suspendu durant lequel le café infusait était de ceux qui forge un collectif solidaire dans les efforts physiques et cérébraux. La journée ne finissait jamais d’ébullition mais là, sur la nappe cirée, parmi les couverts dépareillés que l’on débarrasse tous ensemble, parmi les miettes fraîchement ramassées, les verres Duralex laissés pour servir de tasse, là était un temps de pause indispensable. Je me rappelle la sensation de ma paume sur la boule du piston, appuyant lentement pour que le café se tasse au fond de la cafetière. Les changements de couleur et de texture, passant du cuivre à l’ébène. Les verres qui se rapprochent, certains garnis d’un fond doré, pour recueillir le bouillant breuvage.

Dès que la buée des verres aura disparue dans le soleil, dès que la fumée sera soufflée par la fraîcheur de l’automne, il sera temps. Temps de le boire et de repartir à la hâte vers des tâches longues et engageantes.

Ce temps du café, pour rallonger celui du repos, pour reprendre de l’énergie auprès de la bonne humeur collective, pour accueillir dans une belle surprise un visiteur, pour faire passer une grogne ou un désaccord, et donner de l’entrain pour se lancer dans les heures qui se pressent devant les marches du perron.

J’étais trop jeune pour aimer le café. Mais ce que je percevais de cet échange est resté profondément encré. Le sachet noir et le logo vert, le sucre roux dans les boites en fer aux attaches cassées.

Plus tard, beaucoup plus tard l’expresso est arrivé jusqu’à moi. Je me suis forcée à l’aimer pour retrouver ce temps de l’enfance. Avec du sucre, puis un peu moins jusqu’à comprendre qu’il y avait plusieurs signatures dans un café. Jusqu’à découvrir le travail formidable d’un autre collectif :

celui de Label(le) Brûlerie née de passions et de savoirs-faire mis en commun.

Label(le) Brûlerie : quatre torréfactrices pour un café de spécialité vendu auprès de professionnels, qu'ils soient restaurateur, coffee shop, épiceries, bureau, entreprises... Des formations à destination des professionnels : barista, torréfaction et service du café. Et pour le grand public : des ateliers caféologie. Tout cela dans un petit atelier à Villeurbanne.

Le meilleur café de Lyon

Pourquoi je démarre le film en le nommant meilleur café de Lyon ? Parce que dans meilleur, il n'y a pas qu'une affaire de goût. Il y a aussi une démarche globale, et pour moi, elle est très inspirante. Maintenant, il existe à Lyon d'autres torréfacteurs au savoir faire brillant. Et heureusement. C'est ce qui fait toute la valeur des artisans. Comme le dit Anne-Laure, chacun sa patte ! A nous de nous laisser tenter par la découverte gustative. Et avec Mâchon Pas les Mots, on ouvre le bal avec Label(le) Brûlerie. Parce que leur travail nous a touché, parce que leur état d'esprit aussi.

C’était le 6 juillet dernier, dans la canicule naissante et après une longue journée que nous avons retrouvé Hélène et Emilie à Label(le) Brûlerie (LBB). Un grand portail bleu gardant un atelier de vitre, de bois et de fer forgé. Des sacs de café de soixante dix kilos, provenant du pourtour du globe, reposant les uns contre les autres. Le vélo cargo trônant au milieu et dans le coin le plus éloigné, Clark, majestueux, refroidi par des ventilateurs après une dure journée de torréfaction. On installe notre bastion de lumières et d'objectifs au cœur de l’action, là où, depuis quatre ans, Hélène, Marlène, Anne-Laure et récemment Emilie, travaillent à produire... du café.

Un café, on le comprend de plus en plus aujourd’hui, c’est un héritage colonial terrible et c’est un commerce redoutable. C’était une plante endémique des hauts plateaux d’Éthiopie, implantée par les Hollandais en Asie et en Inde puis par les Espagnols en Amérique Latine. Le café est la deuxième denrée exportée après le pétrole et parfois même c'est une monnaie d’échange. Un commerce monumental abritant son lot d’inégalité et de domination capitaliste.

Habituellement dans Mâchon Pas Les Mots, on s’intéresse aux artisans avant l'activité, à ce qui les passionne, ce qui a changé pour eux et ce qui les fait vivre. Cependant, quand on traite d’un produit aussi «politisé» il faut s’attarder sur ce que les Artisanes de Label(le) Brûlerie insufflent quotidiennement.

Traçabilité - Transparence des Torrefactrices

Laetitia : pouvez-vous m’expliquer ce que signifie import direct ?

Hélène : C’est au cœur de notre projet. Je pense qu’on ne l’aurai pas lancé si on avait pas été sûres de la traçabilité de notre filière et des relations qu’on pouvait avoir avec nos coopératives de producteurs. Heureusement, on avait déjà un pied dans la coopérative Roaster United qui est notre garant en la matière. C’était une donnée fondamentale.

Roaster United c’est un groupement d’achat. Il y a dix ans, c’était juste des échanges entre torréfacteurs, qui se sont formalisés sous la forme d’une association et depuis l’année dernière d’une coopérative dont LBB est évidement membre. C’est parti de la volonté de plusieurs torréfacteurs de re-créer des liens directement avec des coopératives de producteurs de café certifiées agriculture biologique. Les objectifs étant plus de traçabilité et de transparence sur la filière et plus d’équité économique pour les producteurs.

Roasters United

Roasters United

Hélène : Aujourd’hui, on est seize torréfacteurs Européens et notre siège est en France. C’est un groupe qui grandi d’année en année, mais pas trop vite (un ou deux torréfacteur.trice par an). L’idée étant de ne pas être sur les mêmes territoires puisqu’on achète tous les mêmes cafés - on ne peut pas être concurrents dans nos modèles économiques.

Les piliers de Roaster United reposent un peu sur ceux du commerce équitable. Premièrement, un prix minimum garanti au producteur. Deuxièmement, un engagement pluriannuels : on se tourne toujours vers les mêmes coopératives (une dizaine) et ce depuis plus de dix ans. C’est très rare qu’on fasse rentrer de nouvelles coopératives ou alors c’est parce qu’il y a un besoin fort et que l’on sait que pendant plusieurs années, on va pouvoir travailler avec ces mêmes coopératives. Troisièmement, on propose aux coopératives de financer tout ou en partie de nos engagements de commandes quand ils en ont besoin. Généralement au moment de la récolte ou un peu plus tard. Ça, c’est très engageant pour nous en tant que torréfacteur parce que ça veut dire qu’on va parfois payer 100% de notre commande trois quatre mois avant de la recevoir (sachant qu’on parle d’engagement de trésorerie de 5 à 20K€) C’est assez conséquent au regard de petite société comme la nôtre. Et enfin, on réserve des primes de projets par kilo de café achetés pour des projets qu’on va mettre en place tous les deux trois ans en fonction des besoins et des projets dans les coopératives. On a financé de la dégustation de café pour des contrôleurs qualité en Colombie, de la recherche en agronomie en Indonésie (adaptation aux changements climatiques). On a financé des achats de lit de séchage en Éthiopie. C’est assez varié. Sachant que ce ne sont pas des gros budgets, on s’associe occasionnellement à d’autres financeurs pour peser plus dans nos actions.

Emilie : La partie pré-financement est très importante. Il faut imaginer que la récolte dure plusieurs semaines, ensuite, il y a le temps de fermentation, de séchage qui va aussi durer un certain nombre de semaines et après le transport. Il faut comprendre que tout ce temps-là, si nous, on ne tient pas à le payer sans délais, les producteurs n’auront pas de liquidité au moment où les gens travaillent dans les fermes.

Laetitia : Pourriez-vous m’expliquer ce qui se joue pour les producteurs de café ?

Hélène : le système d’achat de café vert est assez complexe. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il est côté en bourse. Les Arabica à New York et les Robusta à Londres. Les coopératives de producteurs vont vendre en fonction des cotations boursières. Avec les filières d’import direct de type Roaster United, on essaye de s’éloigner au maximum des prix du marché en offrant un prix qui va être plus juste aux coopératives de producteurs, avec un prix minimum garanti qui va être un peu plus élevé que le niveau de vie du pays.

C’est difficile de s’éloigner complètement des cotations boursières, notamment comme en ce moment (été 2022) où les cotations sont très élevées. L’offre de café est moins importante cette année en raison de sécheresse et de gelée au Brésil. Les cotations sont donc très hautes en ce moment et du coup pour des acheteurs comme nous en import direct ça devient finalement plus compliqué de trouver du café parce que les producteurs ont un intérêt plus fort à vendre «in the street» à des acheteurs qui vont venir directement chercher le café rapidement.

L’intérêt pour les producteurs de travailler directement avec des coopératives comme nous c’est que d’année en année, peu importe le prix du café, ils vont avoir un prix qui est stable, ils vont avoir une garantie financière qui va être la même sur dix ans, même plus. Pour nous, c'est fondamental que ces producteurs aient toujours cette garantie-là, cette pérennité dans leur modèle économique.

C’est un peu complexe... sourire

Saisonnalité

Laetitia : Quelle est la saisonnalité du café ? Y a-t-il une péremption pour le café vert ?

Hélène : les cafés d’Amérique du Sud sont récoltés aux mois de juin, juillet et août. Les cafés d’Amérique centrale vers novembre et décembre, en Ethiopie décembre et janvier. Nous, on les reçoit six mois plus tard, le temps qu’ils soient processés et transportés. Ensuite, on va les consommer en général dans l’année qui suit. Le café vert n’a pas de péremption particulière. Parfois, c’est un peu comme le vin, il va se bonifier en vieillissant et parfois, il va s’abîmer. À LBB, on fait le choix de garder les cafés peu longtemps. On a du stock sur six mois et on assume que nos clients ne puissent pas en avoir sur toute l’année parce qu’on trouve qu’il est moins bon avec le temps. Et il y a des cafés qui bougent peu et pour lesquels on va acheter du stock pour un an. Par exemple le Pérou, c'est un café qu’on a toute l’année, le Colombie, on ne l’a que pendant six mois. Ce qui est cool, c'est que nos cafés s’échangent. Quand la Colombie est finie, c’est le moment où on reçoit le Honduras.

Emilie : L’avantage, c’est que nous ne sommes pas dans une routine ! Ça nous permet d’avoir une gamme qui tourne et de travailler différemment au cours de l’année. C’est ce qui fait la richesse du métier, de pouvoir évoluer au fil des saisons.

Laetitia : c’est un peu comme un restaurateur qui va travailler sa carte en fonction des saisons.

Emilie : C’est ça ! Quand il y a des cafés qui sont finis, nos clients sont très tristes et nous demandent régulièrement « alors quand est-ce qu’on va retrouver le Joël ? » en l’occurrence notre café de Noël. Il va falloir qu’ils patientent un petit peu... Mais ça créer de l’attente et c’est bien aussi que les gens comprennent que le café, c'est aussi une saisonnalité.

Hélène : et puis finalement, on a des cafés qui vont mieux l’été et d’autres qui sont mieux l’hiver. On ne fait pas non plus les mêmes styles de torréfaction : en été, on cherche quelque chose de plus fluide, de léger et en hiver des choses avec beaucoup plus de corps et plus fort.

Laetitia : vous avez aussi développé les cafés glacés ?

Emilie : oui ! C’est une infusion de café froid. C’est un système de goutte-à-goutte. On l’appelle la méthode cold drip dans le monde du café. Pour ceux qui n’aiment pas le café, c'est une méthode qui est vraiment intéressante, car c’est un joli équilibre entre acidité et amertume et selon le café avec lequel on va travailler ça permet de réveiller de belles saveurs aromatiques. Là, on est sur un mélange de Pérou et d’Éthiopie. On a ces notes chocolatées de ce qu’on connait du café avec le Pérou et cette vivacité qu’on peut avoir avec l’Éthiopie. Ça se marie très bien avec du citron, avec des glaçons...

Transformer les modèles économiques :

Laetitia : Qu’est-ce qui fait vraiment du sens pour vous dans ce projet :

Hélène : La justesse de la filière me tient le plus à cœur. Cette relation en directe avec les coopératives, pour moi, c'est le cœur du projet. On est aussi sur un circuit de distribution court, avec des clients qui sont quasiment tous à Lyon où à côté. Pour moi ça a beaucoup de sens aussi.

Emilie : Pour la moi, la chose la plus importante, c’est la proximité que nous vivons tous les jours. Être proche, le plus possible, que ce soit au niveau de nos coopératives et aussi au niveau de nos clients. Parce que c’est un plus et un luxe de pouvoir voir nos clients, passer du temps et discuter avec eux. Quand on a un nouveau client, c’est important pour nous qu’il vienne voir notre atelier, notre façon de travailler. Que ce soit au niveau du café ou d’autres choses. Et aussi cette proximité que nous avons entre nous quatre.

Laetitia : Comment s’organise l’entreprise ?

Hélène : On a une organisation de type SCOP ce qui signifie qu’on est toutes salariées associées. On prend nos décisions à quatre et nous sommes interchangeables. Si on décide d’intégrer de nouvelles personnes, ce sera sur ce format-là. Juridiquement, nous faisons partie du GRAP qui est une coopérative d’activité regroupant les entrepreneurs de l’alimentation dans la région AURA. Elle nous permet d’avoir ce statut-là.