Zibou Lab : un lieu pour restaurer
Publié le 25 octobre 2024
Laetitia Chalandon
J’entends souvent dans mes visites sur le terrain, dans des fermes, chez les boulangers et les restaurateurs, que s’il n’y a pas de diversité, si on ne s’intéresse pas à ce qui fonctionne différemment, on perd en richesse, en humanité.
Considérer les êtres vivants, c'est apprendre à collaborer et aller plus loin ensemble. Lire un paysage pour le cultiver, observer une plante et ses besoins pour prendre soin d’elle, nourrir son levain pour façonner son pain. Nous sommes dépendants de nos interactions.
Un temps passé au Zibou Lab m’a amené à considérer la question sous un autre angle. Et si nos difficultés à tendre des yeux accueillants vers ce qui ne nous ressemble pas, si nos difficultés à co-habiter, venait d’un manque de connaissance de nos propres différences d’être humain ? Zelda, Gaëlle, Laura et Mathilde tissent des ponts entre les gens et interrogent notre habileté à voir au-delà des secteurs et des frontières invisibles.
« Une société idéale, elle ressemble à une temporalité dans laquelle on n’utilise plus le mot inclusion. C’est réussi quand ce n’est plus un sujet, lorsque la connaissance est apportée aux uns et aux autres pour permettre une adaptation de nos comportements et aboutir à une cohabitation. »
Zelda Prost - co-fondatrice du Zibou Lab
Le Zibou Lab, décloisonner pour mieux vivre ensemble
Un lieu de convivialité
Le Zibou Lab, est un tiers lieu inclusif, associant parcours de soin, restauration durable, art et artisanat. Il vient d’ouvrir au cœur du quartier de la Confluence, là où, incontestablement, il s’invite comme une fleur des champs au milieu d’un jardin d’agrément.
C’est dans un climat doux et réconfortant, coloré et chaleureux que les habitants et travailleurs de la Confluence à Lyon se restaurent. Se restaurer, c’est la proposition qui est faite aussi bien pour les clients que pour les salariés. Le Zibou Lab accueille une vingtaine de travailleur.euse.s porteuses d’un Trouble du Neurodéveloppement dit “sévère” (autisme ou déficiences intellectuelles) et nécessitant le soutien de professionnels de soin.
Zelda Prost est Neuropsychologue. Elle en est la fondatrice. Avec Gaëlle Fremont et Laura Maurer, elles exercent leur métier de professionnelles de santé à mi-temps à l’hôpital ou en structure de soin, et à mi-temps au Zibou Lab. L’objectif est de permettre à ces nouveaux salariés bénéficiaires de faire leurs premiers pas vers un milieu ordinaire par le biais du travail.
La restauration un puissant levier ?
Prendre soin de ses convives...
Associer la restauration avec un projet d’inclusion, c’est un gros challenge. Je me suis demandé pourquoi aller chercher cette combinaison qui peut se dresser comme un obstacle. Recevoir des convives, s’est se mettre au service de, en proposant un temps de réconfort, de soulagement et de ravitaillement. Lorsque les estomacs sont vides et les cerveaux fatigués, les relations sont plus tendues, plus délicates. On reçoit dans le pire moment de la journée et il faut savoir s’adapter, concilier et tranquilliser. Calmer la faim et garantir le besoin de repos qui tenaille et occupe toutes les pensées des convives. Alors comment dans ce contexte, permettre aux clients de se rendre disponibles, d’accepter de se décaler, de faire preuve d’ouverture et d’empathie ?
Certainement parce que la restauration, ce n’est pas que ce sacerdoce pour les serveurs et les chefs. C’est aussi proposer d’entrer dans un univers à soi, dans une maison, dans sa vision du monde. En cela, les restaurants deviennent des lieux de rencontres, de convivialité et de partage. À la table, il est possible de tisser des liens. Qui pourront facilement se défaire une fois la porte franchie vers la rue. Ou s’installer et s’approfondir, à travers une routine, une habitude, un moment important dans la journée pour ce qu’il apporte de fondamental entre les êtres humains : l’échange.
... et de ses salariés
« La restauration a une vocation sociale. Elle permet d’être au contact du grand public. C’est aussi une complexité de tâches qui amène un regard différent sur le soin thérapeutique. Nous avons d’abord vu la plus-value pour les personnes porteuses de handicap, depuis notre posture de soignantes. Il a fallu que nous adaptions le projet en petite restauration, avec une offre de coffee shop, pâtisseries et croques salés, pour qu’il soit conciliable avec les moyens humains. Des horaires en journée, un service léger. Les tâches sont adaptées et se font sur des temps courts (deux heures par semaine en moyenne) pour les salariés bénéficiaires. Ils sont vite fatigables. » Ils seront une vingtaine cette année. Le Zibou Lab, c’est un premier pas vers le monde du travail. Il intervient avant l’ESAT (Établissement et Service d’Accompagnement par le Travail) où les personnes peuvent passer plus de temps. C’est aussi un premier lieu de socialisation en dehors de la famille, dans des espaces, ici adapté, mais qui en général, ne le sont pas.
Mathilde Aubinel, professionnelle de la restauration a rejoint le projet à plein temps. Elle s'est investie pour sa visée sociale et diversifiée : "cela fait cinq ans que je me questionne sur le sens du travail. Ici, je découvre un modèle associatif inspirant tout ayant la possibilité d'intégrer une démarche écoresponsable. Je me familiarise petit à petit avec les troubles du développement." Entre deux découpes de pommes, Mathilde donne des conseils, des réflexes et veille au bon déroulé du service.
« Mathilde nous accompagne sur toute la partie bar, que nous ne maîtrisons pas. Cela nous permet d’assembler les besoins et de construire un maillage solide. Pour les clients, on voulait un lieu dans lequel nous aurions nous-même eu envie de nous installer. Un espace de proximité, pour consommer des choses bonnes et fabriquées proprement. Un espace solidaire qu’on aime et qu’on utilise ! Chaleureux et responsable. Et il en manque ! » explique Zelda
tout en valorisant des produits responsables et éthiques et en construisant un cocon chaleureux
La restauration et la boutique, c’est l’occasion de mettre en avant des produits artisanaux et locaux. L’exigence pour la sélection des produits est prioritairement donnée au commerce handi-responsable, au local, puis au bio. Les fromages bio et locaux de la laiterie La Roche cochent les trois cases, la maroquinerie de chez Luigi Créations provient de Grenoble.
Je remarque à quel point je me sens bien ici, à passer du temps, à observer et contempler. La vaisselle est délicate et élégante, sensorielle. Les cookies renversants et moelleux sont signés Anaïs Cookies, comme les autres pâtisseries, les cafés Dumas, ronds et chaleureux, sont torréfiés dans la Métropole de Lyon, l’espace exposition invite à s’évader, la configuration du lieu permet de s’isoler tout en étant ouvert sur l’extérieur avec une façade de baie vitrée. Zelda explique : « pour la décoration, nous avons appliqué les recommandations pour des personnes qui ont des besoins particuliers. Et en fait, ça fait du bien à tout le monde ! »
J'aime faire le café pour les clients. Je me sens heureux.
Mher - salarié-bénéficiaire
Une intégration progressive
Les premières semaines d’ouverture sont faites entre Zelda, Gaëlle, Laura, Mathilde et les clients. Pour la plupart, habitants du quartier, commerçants voisins, curieux de cette nouvelle ouverture et plutôt satisfaits de trouver une offre rompant avec les grandes enseignes, très représentées dans le quartier.
«Il fallait prendre nos marques, s’habituer au lieu, acquérir les bons réflexes pour être en capacité d’accompagner les salariés bénéficiaires dans leurs tâches avec sérénité et sécurité.» confie Zelda
Depuis, les salariés bénéficiaires les ont rejointes. Aujourd'hui, Mher apporte les plats. Pour faciliter la communication et le service, les tables ne portent pas de numéro, mais des images de fruits. Les commandes à envoyer en salle sont déposés sur des dessertes, en face de la même image. L'ambiance est joyeuse et inattendue. Elle provoque des sourires et engage beaucoup de respect. Là où habituellement la clientèle est exigeante, Mher déclenche une posture d'empathie, de patience et de respect.
« Une société idéale, elle ressemble à une temporalité dans laquelle on n’utilise plus le mot inclusion. C’est réussi quand ce n’est plus un sujet, lorsque la connaissance est apportée aux uns et aux autres pour permettre une adaptation de nos comportements et aboutir à une cohabitation. » Zelda
Paul, venu pour un rendez-vous professionnel a "vu de la lumière" et est entré pour commander un croque-monsieur : "Il y a une belle énergie ici ! Je ressors serein. J'aime beaucoup cette idée de partage et cet élan de mélange de lien. Je comprends que chaque produit proposé nécessite probablement beaucoup d'efforts, car la restauration ce n'est pas simple ! Je ne connaissais pas le concept et je suis reconnaissant que de tels projets puissent voir le jour.
Gaëlle accueille les clients, prend les commandes, fait les encaissements tout en accompagnant Mher. Elle m'impressionne par sa capacité à suivre le fil du coup de feu, tout en ayant une attention constante à Mher. Elle l'encourage, le félicite et lui permet de reprendre de l'attention. Elle doit avoir en mémoire son propre déroulé de tâche tout en gérant celui de Mher et les impromptus qui rythment un service. Elle appelle cela "une attention partagée" et complète "j'ai été formée à cela dans mon métier de soignante. Me concentrer sur une action tout en ayant une écoute active de ce qui se passe autour de moi pour réagir vite". Cette compétence est très similaire à la bonne conduite d'un service de restauration.
Je lui demande comment elle se sent à la fin de sa journée : "lessivée ! mais c'est un mélange de plein de choses. Je suis fatiguée physiquement et mentalement, mais je ressens aussi de l'excitation au regard de tout ce qui a été accompli dans la journée. Je n'avais jamais fait de service en restauration avant ! Même si on a aussi notre lot de stress, de gestion de l'inconnu et du non maîtrisable, je ressens une grande fierté d'apporter ma pierre à l'édifice "
Je mesure à quel point nous sommes des êtres d'adaptation.
Gaëlle - professionnelle de santé et salariée du Zibou Lab
Une structure innovante
Gaëlle trouve au Zibou Lab une vraie respiration. "Ce projet est totalement novateur et donne envie de s'investir. J'ai rencontré Zelda sur mon lieu de travail. Il n'était pas prévu que je participe au projet, j'ai suivi sa construction de loin. Et puis, j'ai raccroché les wagons. Je me sens en inclusion inversée ! Je découvre le travail en milieu ordinaire, avec des gens de l'extérieur et c'est très enrichissant. Pour Mathilde, c'est le contraire. Toutes ensembles, on partage nos vécus, on vit de beaux moments ici. On s'alimente les unes les autres et on grandit ensemble. Le projet a été pensé pour être égalitaire et humain. Ça nous change des systèmes très pyramidaux de l'hôpital."
L'intérêt du Zibou Lab, c'est aussi de décloisonner les zones de soins. Gaëlle suit Mher dans le cadre d'un service rattaché au Vinatier. Des croisements sont envisagés entre professionnels et accompagnants.
Soutiens au projet
Le Zibou Lab, monté en association a été accompagné par Alter'Incub, un incubateur pour celles et ceux qui souhaitent entreprendre en collectif. Le projet a été soutenu par de nombreux et diverses partenaires, collectivités, organismes de soins, fondations... Preuve que si ces lieux sont encore peu développés, ils sont en voie d’apparition pour répondre aux attentes et à la modernisation de nos sociétés.
Le Zibou Lab
réservations et renseignements 07 70 44 52 74