Dans la Métropole de Lyon, les paysans testent leur installation
Publié le 27 mai 2025
Laetitia Chalandon

L’espace test agricole de la Métropole de Lyon
Attraper la crise agricole par un bout et le tenir, avec engagement et créativité
Une parcelle de six hectares a été remise en culture sur la commune de Vaulx en Velin. Il y a un an, c’était un vaste carré vide d’où l’on apercevait au fond du terrain, quelques chênes bordés de lierres. Une friche, attendant de se voir attribuer une nouvelle fonction. Mais pour d'autres regards, c'est aussi une terre historiquement fertile, faite de limon et de moraine déposées par le passage des glaciers, qu'il faut préserver. Un sol présentant un fort potentiel agricole et qui par le passé, était cultivé pour ces même raisons. Cela avant que l'activité de maraîchage ne s'éteigne peu à peu à Vaulx en Velin (Ils étaient quarante maraîchers dans les années 50, ils ne sont plus que quatre aujourd'hui).
Nous étions invités pour l'inauguration de l’espace test agricole de la Métropole de Lyon. Un projet inédit et ambitieux pour encourager et soutenir l’installation de nouveaux paysans et paysannes sur le territoire.
Considérer l'agriculture comme une richesse pour les villes
«Les premiers habitants de Vaulx en Velin étaient des paysans et des paysannes» rappelle Hélène Geoffroy, maire de la commune. «La ville comprend 200 hectares de zone agricole et notre enjeu est de les sauvegarder, tout en réhabilitant leur vocation initiale de zone maraîchère. Cela fait dix ans que nous travaillons à cette politique et la Métropole a répondu présente pour nous soutenir».
Il y a seulement 70 ans, Lyon bénéficiait d’une véritable ceinture nourricière et diversifiée. De la polyculture élevage, des fermes et des réseaux de circuits courts constituaient le modèle d’approvisionnement pour les habitants. La situation géographique exceptionnelle de Lyon a permis depuis des millénaires, le développement d’un sol particulièrement adapté à la culture et permettant une grande diversité de filières. Au 19e siècle, on travaille à l'élaboration d'un véritable patrimoine botanique et nourricier : 1200 variétés de pommes de terre sont nées à Lyon ! Un terroir qui devient un héritage emblématique avec la cerise Burlat, l’abricot Bergeron ou le poireau Bleu de Solaize et la poire Belle de Vienne. Mais la majorité des ces variétés ont malheureusement disparues comme la Monstrueuse de Lyon et La Gloire des Charpennes (tomates), Le Géant d'hiver de Montplaisir (épinard) ou Le peu de fort de Bresse (piment), emportées par la révolution agricole d'après guerre. Certaines de ces variétés sont conservées au CRBA (centre de ressources de botanique appliquée de Charly) et font l’objet d’un retour en culture en partenariat avec des maraîchers volontaires.
Une ferme sur trois trouve repreneur
Depuis 1970, sur la Métropole de Lyon, le nombre d’exploitation a été divisé par 8. Dans la plaine du Velin, le maraîchage et le circuit court étaient majoritairement avant les années 50. La filière a été largement abandonnée au profit de la production de céréales et de l’export. Il faut moins de monde pour entretenir des champs de blé et de colza (1 personne pour 200 ha) que pour faire pousser une cinquantaine de variétés de légumes et les distribuer localement (1 personne pour 1 hectare). Depuis 2010, la main-d'œuvre agricole a chuté de 41%.
Une ferme sur trois trouve repreneurs. «Il est important de créer des vocations, de les accompagner et de faciliter leur installation. Nous avons besoin de paysans et de paysannes pour nous nourrir et anticiper les besoins de demain. Nous mettons en place une stratégie de reconquête des terres du Velin» explique Jérémy Camus, Vice Président en charge de l'agriculture, l'alimentation et la résilience du territoire.
Un incubateur de paysans
Jérémy Camus imagine cet incubateur pour sécuriser le démarrage d’une activité d’intérêt public. «Des dispositifs similaires existent pour tout un ensemble de professions. Pour l’agriculture, il n’y a rien de semblable alors que se sont aussi des entrepreneurs.” La Métropole s'est saisie de la mise en œuvre, Vaulx en Velin avait les terrains nécessaires à sa mise en place. Le partenariat a pu se concrétiser. Aujourd’hui, Jérémy Camus est appelé à témoigner de ce dispositif par d’autres territoires “il y a un réel besoin de favoriser l’installation, dans des conditions qui permettent la durabilité des projets.”
Les trois porteurs de projet ont à disposition un accompagnement technique et juridique, ils peuvent poursuivre leur formation, tester, chercher leur marché. “Nous mettons en place divers outils pour retrouver d’ici une dizaine d’année ces 400 ha en culture légumes et fruits que nous avons perdus et permettre aux territoires, de gagner en sécurité alimentaire et en dynamisme.” Ils ont trois ans pour faire le test. En contrepartie, un loyer gradué leur est demandé, une obligation de cultiver en agriculture biologique et de réserver une partie de leur production pour la restauration collective à destination des écoles de Vaulx en Velin et de Villeurbanne.
«Les habitants des quartiers populaires sont tout autant attachés aux repas de bonne qualité, que les habitants des centres villes. L’accès à des produits sains et à prix abordables est une préoccupation. C’est la garantie d’une meilleure santé et d’un meilleur développement.» Complète Hélène Geoffroy. "Par ailleurs, nous nous trouvons sur une zone de champ captant (alimentation des nappes phréatique pour l’approvisionnement en eau des habitants de la Métropole). La question de la préservation de la qualité de l’eau pour 1,4 millions de personnes entre en ligne de compte.”
Aujourd’hui, le terrain est occupé par six grandes serres de 700m2, des parcelles de culture plein champ, des espaces communs pour la logistique, une zone humide pour la préservation de la biodiversité, des haies, des fleurs et une végétation diversifiée. A deux kilomètres du champ, à proximité des habitations, un bâtiment accueille les bureaux, les zones de stockage des denrées et du matériel.
Et sur ces terres, trois porteurs de projet qui depuis octobre 2024, s'emploient à cultiver des légumes et à tester leur activité de paysan et de paysanne en agriculture biologique
Emmanuelle Gharbi Le super Terrain - Sébastien Cailliau Aahhh la ferme - Marius Muzat Vaulx Légumes

Quand on démarre et qu’on est seul, sans repère, c’est très dur. On a besoin de se rassurer, d’être en lien.
Emmanuelle Gharbi
Des singularités solidaires pour de la vente locale
Un terrain découpé selon les besoins
Ils se sont organisés et réparti les zones : chacun dispose d'1,4 hectare de plein champ et de deux serres de 700m2. Ces espaces là sont gérés indépendamment les uns des autres, chacun teste son modèle. Dans l’ensemble, ils ont opté pour de la vente directe et locale.
Des outils mutualisés
Ils gèrent collectivement un terrain de 5000m2 et une serre pour les plants. Le matériel agricole est mis en commun, tout comme les stations de logistique, de stockage et les bureaux. Ils optimisent également l'utilisation du tracteur et des outils en jouant sur la solidarité. “On communique et on s’organise pour les plantations. Quand on fait des linéaires de pomme de terre, on fait tout le même jour, pour tout le monde.” explique Sébastien. Ancien cordiste en bâtiment, il s’est converti à l'agriculture. Il a choisi un mode de culture basé sur le vivant. “J’amende le sol avec une litière de forêt fermentée. Les champignons et les bactéries présentes vont faire le travail pour enrichir le sol.”
Les serres ont chacune leur identité. A travers le choix des légumes, du mode de culture et du travail de la terre. Les tomates de Sébastien sont magnifiques. “J’ai récupéré du fumier du centre équestre d'à côté. Mes planches sont un peu hautes car on ne maîtrisait pas complètement l’outil. Ce sera mieux l’année prochaine.” Sous serre, des haricots Violet, haricots Beurre, et Gourmand, des aubergines, poivrons, carottes bottes et pommes de terre nouvelles. En plein champ, des fèves, petits pois, du maïs doux, de la salade et des épinards.
Expérimenter les débouchés
“Au départ, on misait sur la pomme de terre pour la restauration collective. Et puis en discutant avec eux, nous nous sommes rendus compte de leur exigence. Ils ont besoin d’un calibrage très précis pour optimiser leur temps de travail. Les légumes doivent être adaptés à leurs outils en cuisine. Pour nous, ça n’allait pas être possible. On a donc misé sur d’autres produits comme les potirons (parce que la peau se mange et qu’il n’y a pas besoin de les éplucher), les choux et les poireaux.” Les quantités nécessaires pour les approvisionnements demandent une logistique à part entière. “Un service de carotte pour la cuisine centrale de Villeurbanne c’est 2 tonnes en une fois. C'est pour ça que ça ne représente que 15% de mon chiffre d'affaire."
Et le travail de la terre
Il a fallu préparer la terre. En six mois de démarrage, la première année est déjà prometteuse.
Marius nous accompagne au devant de ses serres. “Les escargots et les limaces nous ont mis une grosse pression ! En revanche, nous n’avons pas eu de pucerons grâce aux bordures fleuries. Les coccinelles et les syrphes jaunes qui y logent ont été efficaces.”
Une trentaine de variétés sont proposées et les clients choisissent ce qu’ils veulent sur internet. “Il y a une grosse attente pour les tomates ! Et je me suis rendu compte que les français ne mangeaient pas autant de salade que ça. Il m’en reste beaucoup !” Les salades sont montées en graine. "En revanche, gros succès pour les navets et les oignons nouveaux !”
Miser sur le choix, c’est une obligation pour que les paniers soient attractifs. Mais cela pose des difficultés d’adaptation et de planification supplémentaires. Pour chaque itinéraire de légumes, il faut une technique spécifique.
“On a des ajustements à faire pour la suite, c’est normal car on ne connaissait pas les spécificités du terrain. On peut aussi compter sur le collectif et c’est précieux” explique Emmanuelle qui occupe les serres juste à côté de celles de Marius. En plus de nombreux légumes, elles propose une gamme de fleurs comestibles.
Mon engagement est inébranlable
Marius Muzat
Des vocations qui s'affinent et se confirment
Ils travaillent en bonne entente alors qu’ils ne se connaissaient pas. Pour Marius et Emmanuelle, l’idée de s’installer en collectif est confortée. “faire du désherbage tout seul, c’est long !” Mais au-delà de ça, il y a ce besoin de ne pas se sentir seul. “Mon engagement est inébranlable.” affiche Marius. “C’est la carrière que j’ai toujours voulu faire. C’est une passion. Grâce à la structure d’accompagnement, on va pouvoir mettre en place sereinement l’activité. L’année 1 pour faire des erreurs, l’année 2 pour conforter nos choix et l’année 3 pour s’installer”.
Emmanuelle a bifurqué après douze années comme graphiste. Suite au covid, elle décide de passer son BPREA (diplôme d'exploitant agricole) “je voulais être actrice du changement, travailler au grand air et manger sainement.” L’espace test est pour elle une occasion de transition radicale. Après ses expériences passées en collectif sur des exploitations, elle se lance seule. “Un hectare, ça va le faire” rit-elle “mais je tiens à m’associer l’année prochaine. C’est un baptême du feu prometteur”. Ici, l’expérience personnelle est consolidée par la promo : “On est solidaire les uns avec les autres, on s’échange des informations, des coups de main et on se motive. Quand on démarre et qu’on est seul, sans repère, c’est très dur. On a besoin de se rassurer, d’être en lien.”
On pense l’agriculture comme une activité extractive, sans se représenter les générations suivantes.
Mewan Melguen
Un accompagnement en lien avec les acteurs agricoles du territoire
Elle poursuit : “Nous sommes vraiment bien soutenus, avec tout un réseau d’acteurs qui peuvent nous conseiller sur nos prix de vente, la gestion comptable et la connaissance de l’écosystème administratif qui gravite autour de l’activité agricole. C’est très rassurant”.
L’ADDEAR du Rhône est chargée de l’accompagnement humain, technique et économique, tandis qu’Agribio Rhône Loire soutient l’intégration des testeurs dans les circuits de restauration collective. Les structures agricoles locales, la SAFER, la chambre de l’agriculture et les associations de gestion de l’irrigation sont également parties prenantes.
L’espace test est chapeauté par Mewan Melguen, responsable d’exploitation agricole à la Métropole de Lyon. Il a suivi l’ensemble des travaux et du bâti, fait les choix techniques pour le matériel et forme à son utilisation : “Ils ont chacun leur méthode. Je reste en retrait mais à disposition selon leur besoin. Il est important qu’il puissent aller au bout de leur expérimentation pour en tirer le maximum d’expérience. Sauf pour tout ce qui est uniformisé comme l'utilisation du tracteur et des divers outils de mise en culture.”
Emmanuelle, Sébastien et Marius profitent de conditions optimales pour lancer leur activité. L’investissement de la Métropole de Lyon sur le projet représente 2,5 millions d'euros et d’un soutien financier complémentaire par la ville de Vaulx en Velin qui met à disposition une partie du foncier et accompagne le projet.
Ils participent aussi à augmenter la plus value sur le sol, qui bénéficiera aux prochains testeurs.
“On pense l’agriculture comme une activité extractive, sans se représenter les générations suivantes. A qui appartient la valeur du sol, à qui appartient le capital ? C’est tout un schémas de pensée intéressant à questionner.” témoigne Mewan.
Le projet a été pensé pour que les porteurs de projet puissent bénéficier de leur chômage durant ce temps d’incubation et bénéficient du contrat CAPE. En effet, s’ils s’étaient lancé directement, leurs ventes auraient été considérées comme des revenus. Impossible dans ces conditions de consolider un modèle. “Là, tout part pour le projet d’entreprise. C’est beaucoup plus sécurisant” explique Sébastien. D’autant plus que dans son cas, il ne pourra pas faire de demande d’aide pour l’installation (la DJA dotation aux jeunes agriculteurs attribuée aux moins de 40 ans). Sébastien espère s’installer à proximité du neuvième arrondissement, son lieu d’habitation. “Quand on est agriculteur, on a besoin d’être proche de son terrain. De plus, je prévois de faire les livraisons en vélo cargo.” Sébastien organise ses points de retrait directement au sein des entreprises ou à proximité pour faciliter la vie et la gestion du temps des habitants.
Pour aller plus loin

Zone humide de l'espace test
Soutenir l’installation agricole
Un enjeu majeur pour les communes qui, dans cinq ans, vont voir diminuer leur nombre d’agriculteurs. Au niveau national, 50% d’entre eux partiront à la retraite.
Pourquoi est-ce inquiétant ? Parce qu’en encourageant les fermes à s’agrandir et à investir depuis les années 70, l’accès au foncier a explosé : comptez entre 500K€ et 1M€ pour la reprise d’une ferme.
Cet état de fait n’encourage pas les jeunes (encore faut-il trouver les moyens) à prendre de risque dans un contexte où la rentabilité et la sécurité est très faible. Cela est accentué par le changement climatique et l’appauvrissement des sols, qui ne permet plus d’espérer de hauts taux de rendement. Et ce n’est malheureusement pas en ré-autorisant certains pesticides que la solution sera efficiente. L’argumentaire de surproduction pour atteindre la rentabilité et garantir une souveraineté alimentaire est mis à mal depuis des décennies. Trois enquêtes convergent en ce sens. L’injuste prix caché de notre alimentation, les rapports du Shift Project "Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère" et de Terre de Lien Souveraineté alimentaire, un scandale made in France sur notre autonomie alimentaire. Il y est démontré que les revenus des agriculteurs sont soutenus par la Pac (subventions) plus que par l’activité et ne sont pas dignes (un agriculteur sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté), que 43 % des terres agricoles en France produisent pour l’exportation (12 millions d’hectares), tandis que nous importons 10 millions d’hectares pour nous nourrir. Nous aurions assez d’espace pour nourrir la population française, à condition de les sanctuariser, de les orienter vers une diversité alimentaire et en soutenant l’installation et la reconversion vers des pratiques plus respectueuses de la santé, de l’environnement et des circuits courts.
Si au niveau national les faits ont encore du mal à se frayer un chemin pour la mise en place de politique volontariste, c’est une problématique visible pour les territoires, questionnant directement leur capacité de souveraineté alimentaire et de dynamisme économique. Installer une nouvelle ferme, c'est générer quatre emplois.
Si le besoin de sortir de ce modèle se fait de plus en plus pressant aujourd’hui pour les zones périurbaines, c’est parce qu’il ne répond plus correctement aux attentes des habitants et ne permet pas non plus d’anticiper et de se préparer aux enjeux de demain.
A Lyon, une récente enquête «La santé économique des exploitations agricoles dans la métropole de Lyon et le PATly» (publiée le 20/05/25) menée par l’agence Urba Lyon met en évidence les difficultés des exploitations et les moyens qu’elles ont mis en place pour s’en sortir. Les solutions gagnantes sont celles qui font le pari de la diversification des produits et des circuits courts. Il est aussi démontré que l’accompagnement et le soutien des collectivités au cas par cas permet aux agriculteurs de sortir la tête du marasme et d’envisager des voix de sorties salutaires.
Il est aussi constaté que la jeune génération est en augmentation depuis 2020. Un chef exploitant sur 4 à moins de 40 ans en 2020 contre 1 sur 6 en 2010. Les repreneurs sont à 50% non issus du monde agricole. Une difficulté supplémentaire pour construire son modèle et bénéficier de soutiens au démarrage. Le métier de paysan ne s’improvise pas. Si la volonté de nourrir en proximité est solide, la faisabilité est moins évidente. Parmi les principales difficultés rencontrées, il y a l’accès au foncier et la sécurisation des débouchés.
Les collectivités peuvent agir témoigne Jérémy Camus “Favoriser cette transition est indispensable, mais nous devons aussi mettre en place une politique d’accès au foncier. Un très gros travail a été engagé pour considérer les espaces agricoles non plus comme des zones de vide mais comme des lieux de richesse à part entière.” La préemption, le rachat et la collaboration avec les propriétaires de terres agricoles sont des outils de préservation mais également le classement en PENAP (Périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains) qui permet véritablement de sanctuariser des terres qui présentent un haut potentiel agricole. Cela demande aussi de repenser notre manière de vivre un territoire en combinant l'ensemble des besoins tels quel le logement et l'emploi plutôt que de les opposer.
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