Un accès vital à l'alimentation
Publié le 26 septembre 2024
Laetitia Chalandon
Comment garantir un accès pour toutes et tous à une alimentation de qualité ?
Produire notre alimentation coûte cher. Si nous sommes habitués à une culture des prix cassés, cette logique impose en réalité un tribut insidieux à l’ensemble de la société. En témoigne l’étude « L’injuste prix de notre alimentation, quels coûts pour la société et la planète ? » menée par le bureau d’étude Le Basic à la demande du Secours Catholique, du réseau Civam, de Solidarité Paysans et de la Fédération Française des Diabétiques. Un chiffre édifiant dans ce rapport : dix-neuf milliards d'euros sont dépensés par an pour palier aux dommages sanitaires, sociaux et environnementaux de notre système alimentaire français. En bradant les aliments, on rogne sur notre avenir. La production d’une alimentation saine et variée, rétribuant avec dignité ses acteurs tout en préservant les écosystèmes a un prix. Mais comment lui assurer plus de débouchés et qui pourra se l’offrir ? Pour tenter de répondre à cet enjeu, il est proposé un projet politique : intégrer l’alimentation au régime général de la sécurité sociale, tel qu’il a été initié en 1946. C’est ainsi que des expérimentations d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), sont portées par un collectif depuis 2019 en France. Ces initiatives s’appuient sur trois piliers communs. La SSA doit être universelle (s’adresser à toutes et tous), le choix des produits et de lieux conventionnés doit être décidé démocratiquement (directement par les adhérents de la caisse) et le financement dépend d’une cotisation sociale. Chaque territoire teste divers scénario de fonctionnement.
Au fur et à mesure de nos recherches et de nos rencontres, nous nous sommes sentis plus concernés par l’ampleur du sujet.
Sylvain, habitant du 8e, membre de CALIM 8 (le comité des habitant·es membres de la caisse du 8ème)
Vers une Sécurité Sociale de l'Alimentation
en test à Lyon
Des habitants se positionnent pour manger mieux
Ce samedi 21 septembre, place Belleville, le 8ᵉ arrondissement de Lyon lançait l’ouverture de sa Caisse de l’alimentation.
Sylvain, cinquantenaire, bénévole très actif au sein des structures solidaires de son quartier, participe depuis février 2024 au comité des habitant.es membres de la caisse du 8e : CALIM 8. Ils sont une trentaine, futurs expérimentateurs à avoir planché sur les engagements et le fonctionnement de la caisse de l’alimentation, accompagné par l’association Territoires à vivreS. « Répartis en petits groupes de dix à quinze personnes, nous nous sommes retrouvés tous les quinze jours autour de thématiques spécifiques. Économie, nutrition, environnement, choix alimentaires... Notre objectif était de creuser les sujets en se documentant pour ensuite apporter des éléments de réflexion à l’ensemble du collectif, au complet une fois par mois. »
Pour qui, comment, et selon quels critères ?
Elle est ouverte de l’étudiant au retraité, en passant par les travailleurs (avec ou sans emplois). Dès novembre 2024, cent foyers auront un crédit de 150€ (le montant varie selon la composition). Ils pourront le dépenser uniquement dans des lieux conventionnés : épiceries, magasins, restaurants, boulangeries, fermes... Leurs critères de sélection : une alimentation de saison, locale et en circuit court, des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement, une qualité nutritionnelle et gustative, la réduction des déchets, l'implication dans le territoire, le soutien des producteurs, l'accueil et l'accessibilité de tous types de public.
Qui finance ?
En contrepartie, chaque membre doit contribuer mensuellement à la caisse sous forme d’une cotisation, selon ses moyens. Le montant minimum étant fixé à 1€. Actuellement, la Caisse est financée à hauteur de 46% par la Métropole de Lyon, à 27% par l’État via le fond Mieux manger pour tous et par le montant des cotisations et des dons. Les personnes peuvent contribuer au-delà des 150€, l'important est d'instaurer une dynamique de solidarité et de mutualisation pour aller vers de l'auto-financement.
L’argent est dématérialisé et transite via une application dédiée. Grâce à un compte privé, chaque personne peut voir ce qu’elle a dépensé, où et ce qui lui reste pour le mois.
Qui décide ?
Il était important que l’identité de cette caisse soit construite par les habitants du 8ᵉ, sur les bases d’une démocratie alimentaire : « on voulait un comité composé d’une diversité de profils et d’horizons, tout en laissant une place particulière aux personnes qui vivent la précarité dans la prise de décision et l’élaboration de la caisse. » Explique Léa, chargée de mission à Territoires à vivreS Grand Lyon. Brasser les regards pour aller vers la question d'un droit qui ferait tomber toute forme de stigmatisation.
« Quand on a démarré, on ne se connaissait pas. Mais nous sommes tous animés par une envie de changement. Au fur et à mesure de nos recherches et de nos rencontres, nous nous sommes sentis plus concernés par l’ampleur du sujet. Je suis révolté par l'idée qu'en 2024 en France, le droit à choisir une alimentation de qualité ne soit toujours pas garanti, au même titre que de se loger et de se soigner », témoigne Sylvain.
fresque de l'élaboration du projet par les collectif CALIM8 - 21 septembre 2024
Ça fait du bien de vivre ça ensemble. C’est quand même beaucoup plus simple de se mettre en action quand on est collectivement engagés pour changer les choses, plutôt que chacun pour soi dans sa petite routine. C’est durablement entraînant.
Léa Thevenot, chargée de mission chez Territoire à VivreS Grand Lyon
Sortir d'une dépendance aux dons alimentaires
L’expérimentation démontre la capacité des habitants à s’engager pour leur droit au bien-être. « Quand on laisse la place aux habitants, il y a ce pouvoir d’agir qui s’exerce. Les choix sont faits en connaissance de cause et ils vont vers une alimentation bonne pour la santé et bonne pour l’environnement. Bien nourrir nos enfants, c’est quelque chose que nous avons tous en commun. » Constate Léa Thevenot. Pour certaines personnes, c’est retrouver une dignité : « Elles ne sont plus dépendantes des restes des grandes surfaces, de ce qui ne peut pas être vendu. Elles ont accès aux mêmes droits que les autres et sortent de cette forme de violence. »
De plus, les ateliers ont permis un apprentissage à la prise de décision collective. Ce que Léa retient de cette mise en route, c’est l’engagement du groupe. « Ça a été intense, avec des rencontres longues et de grands débats, mais toujours dans la convivialité. Le groupe a su tisser une relation de confiance. Il a tenu le coup dans la durée. Ça fait du bien de vivre ça ensemble. C’est quand même beaucoup plus simple de se mettre en action quand on est collectivement engagés pour changer les choses, plutôt que chacun pour soi dans sa petite routine. C’est durablement entraînant. »
Il reste encore une année pour le calibrer et optimiser l’outil. L’ambition est d’ouvrir de nouvelles caisses à Lyon d'ici à quelques années.
« Mais aujourd’hui, on célèbre le lancement de la Caisse. On va enfin pouvoir effectuer des versements et accueillir de nouvelles personnes. Nous avons un objectif d'intégrer soixante-dix personnes dans les deux mois à venir. Le nouveau défi sera de transmettre le processus vécu par les trente premières », se réjouit Léa
le stand de la Caisse, accueilli sur l'espace de l'association VRAC et du réseau AMAP Aura, 21 septembre 2024, Lyon 8e
A long terme, on pourrait imaginer accompagner des magasins déjà installés sur le quartier et qui auraient envie de proposer des produits issus directement de producteurs locaux
Léa Thevenot, chargée de mission chez Territoire à VivreS Grand Lyon
Changer de modèle grâce à la coopération
La pertinence du projet repose sur l’apport de multiples structures lyonnaises, en lien avec le terrain. La solution doit réussir à prendre en compte les problématiques d’un maximum de secteurs « ce n’est pas toujours facile parce que c’est plein d’enjeux à essayer de se faire rencontrer, et en même temps, l’expérimentation permet de tirer des enseignements positifs et d’avancer. C’est cette coopération qui fait la richesse du projet. » soutien Léa.
Créer de nouveaux débouchés sur le territoire
Si l’expérimentation permet un accès digne à une alimentation de qualité, elle espère dynamiser le tissu économique et l’installation de débouchés pour la filière bio et locale.
La Métropole est en capacité, dans un rayon de 50 km de couvrir 93% de ses besoins alimentaires. Actuellement, seulement 4,6% sont acheminés localement et le 8ᵉ arrondissement fait partie des parents pauvres. La concentration de l’expérimentation à l’échelle d’un quartier va permettre une mesure d’impact, même si les délais sont très courts. Sur une durée d’un an, difficile d’avoir le recul nécessaire et surtout d’enclencher un élan durable. Pour autant, il est prévu d’analyser les effets des ventes et des types de fréquentation auprès des partenaires conventionnés. « A long terme, on pourrait imaginer accompagner des magasins déjà installés sur le quartier et qui auraient envie de proposer des produits issus directement de producteurs locaux », confie Léa.
S'appuyer sur des forces et des visions existantes
Par le biais d’un comité technique, les lieux du 8ᵉ qui pouvaient prétendre à être conventionnés, comme Epicentre, (épicerie sociale et solidaire) ont apporté leur regard sur la faisabilité du projet. L’anticipation des moyens de payement, l’accueil de personnes pas ou très peu habituées à fréquenter leurs espaces... Les structures solidaires comme le Secours Catholique et Habitat Humanisme ont joué un rôle de relais auprès de leurs bénéficiaires. « Ils nous ont conseillés sur notre approche et notre communication et ont veillé à ce que nos outils soient bien accessibles ». Et enfin des partenaires en lien avec le monde agricole comme les AMAP ont permis la mobilisation de producteurs, leur mise en lien et l’assurance que le système allait leur bénéficier.
La Chaire Économie Sociale et Solidaire de l’Université Lyon 2 était invitée par le collectif pour renforcer les pistes de financements. « On nous a proposé de réagir aux divers scénarios envisagés et de regarder quel pourraient être les financements dédiés pour sortir des subventions publiques. Chaque caisse à ses problématiques, son identité, son territoire et ses réseaux. L’innovation sociale fonctionne comme ça. Elle est retenue dans un second temps au niveau national et peut être enrichie, perfectionnée par une multitude d’approches » explique Jean-Luc Chautagnat, coresponsable de la Chaire.
Le défi de la SSA sera de consolider son fonctionnement tout en conservant son terreau démocratique. Pour sortir de l’impasse créée par notre système alimentaire, nous devons apprendre à faire des pas de côté et à regarder les actions menées à petite échelle avec beaucoup d’attention. Elles proposent une porte de sortie vers un horizon plus désirable et plus robuste face aux défis sociaux et environnementaux qui sont les notres.
Pour aller plus loin :
les candidatures sont ouvertes et accessibles sur le site Territoires à VivreS Lyon