La Microferme des Etats-Unis
Publié le 12 septembre 2024
Laetitia Chalandon
J’avais envie de contribuer à la solution et en même temps, d’apprendre un métier qui serait utile quoi qu’il arrive.
3000m2 de terres cultivées aux pieds des immeubles
Philippe Zerr, la quarantaine, a bifurqué vers l’agriculture urbaine il y sept ans. Militant écolo, préoccupé par les problématiques environnementales, il souhaitait retrouver du sens dans son travail. Il quitte l'audiovisuel pour un métier qui lui permettrait de se sentir utile, d'être porteur de plus de sens. En l’occurrence, produire de la nourriture. Trois ans après sa reconversion, c'est en 2020 que l’association Place au Terreau, en partenariat avec le bailleur social Grand Lyon Habitat, le contacte pour un projet inédit : monter une microferme en plein quartier résidentiel de Lyon pour cultiver des légumes bio, sur sol vivant. Il s’associe avec Nicolas et progressivement, ils acquièrent d’autres terrains. Aujourd’hui, la ferme compte environ 3000m2 d’espaces cultivables. Nicolas est parti vers d’autres horizons. Léa et Mary se sont jointes à l’aventure comme stagiaire test avant de devenir associées. Le projet, c’est de faire vivre deux à trois personnes. Un véritable défi quand on sait qu’il faut en moyenne 1ha (soit 10 000m2) pour un exploitant. Alors comment la Microferme des États-Unis parvient-elle, depuis cinq ans, à maintenir son activité ? Quelles sont ses particularités et les adaptations auxquelles elle est confrontée ?
Maraîchage bio, sur sol vivant
Visite de la ferme avec Philippe Zerr
juin 2024, 8h30 du matin. J’arrive à l’arrêt Villon dans le 8e arrondissement. Le quartier s’étend tout en longueur, traversé par la ligne de tram. Construit dans les années 30 sur des jardins et des prés pour loger les ouvriers, ce quartier répondait à la progression urbaine et l’implantation des usines du début du XXe siècle.
J’enjambe une petite balustrade de ciment et cherche la parcelle de terre, abritant de nouveau une activité maraîchère. Les habitants ont vite fait de me renseigner, comme on indique à des inconnus de passage, le chemin vers un lieu emblématique et pas si secret. Au détour du premier bâtiment, je découvre un grand cèdre. Il marque l’entrée d’un modeste terrain de 600m2, coupé en deux, entouré par de simples clôtures de bois et de haies. De petites portes fermées d’un loquet permettent d’accéder aux cultures. Au fond, un cabanon délimite le terrain. Sur la façade en bois, que l’on peut lire de loin, l’inscription peinte en blanc «La Microferme des Etats-Unis - vente directe ». Un city stade, des immeubles et des voies de stationnement encadrent la place.
Je retrouve Philippe. Il coupe des feuilles de dix centimètres, d’un vert sombre, aux nervures marquées et à la tige rouge. À la manière d’une girafe, jambes droites de chaque côté des plantations, il ne plie que le bas de son dos pour travailler. Sectionner, déposer, tirer la caisse, reculer, sectionner...
_ Salut Philippe, ce sont de jeunes pousses de betteraves que tu ramasses ?
_ Bonjour Laetitia, bienvenue ! Il se redresse, passe sa main sur son front. Oui, c’est ça exactement, betteraves et blettes. On les propose dans le mesclun d’été. La betterave, elle aime bien le soleil.
Philippe change de coin. Il dévoile de belles pousses, d’un vert clair et vif et à la forme dentelée. Du mizuna. Elles ont un goût de jeunes choux. C’est très tendre.
_ On les arrose souvent, plusieurs fois par jour et à petites doses pour qu’elles ne montent pas en graine. Elles craignent la chaleur. C’est pourquoi, on les place sous le cèdre. Du coup, c’est le paradis des escargots et des limaces. Tant qu’ils ne viennent pas au début ça va. Après, c’est tellement dense qu’ils peuvent en manger quelques-unes.
_ C’est ok de partager !?
Oui, il y en a tellement. Mais c’est limite trop serré là !
Il y a cinq ans, il n’y avait rien ici. Le lieu était un parking de graviers sableux. Il y avait un terrain de foot délabré, laissé à l’abandon. Grand Lyon Habitat profite alors d’un programme de rénovation du quartier pour financer les travaux et métamorphoser le lieu. Le sable a été retiré au profit d’une terre de remblai, et d’une couche de compost. Les clôtures en bois ont été installées ainsi que le cabanon pour ranger les outils et permettre une vente directe. Le reste des installations, comme l’irrigation puis les plantations, c’est la Microferme qui les ont pris en charge.
Maraîchage sur sol vivant
Le maraîchage sur sol vivant (MSV) est un mouvement agricole des années 2012. Cette technique allie écologie et productivité.
Peux-tu m'expliquer ta démarche ?
Philippe : C’est un idéal vers lequel j’essaye de tendre. Je compte sur la vie du sol pour fertiliser les cultures. En mangeant les matières organiques, toute cette vie rejette de l’azote, que les plantes absorbent pour grandir. Ces micro-organismes travaillent le sol et le structurent. L’eau et l’air y pénètrent bien. C’est le travail qu’effectuent des outils mécaniques et motorisés, mais sans pétrole et sans détruire ou empêcher la vie du sol de s’installer. Mon rôle, est de lui apporter de bonnes conditions d’habitat et de nourriture et un bon niveau d’eau pour se développer. Les cultures auront moins besoin d’intervention grâce à elle. Mais quand on est maraîcher, on n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Il faut que le système puisse fonctionner pour arriver à être rentable et à en vivre. J’essaye d’être pragmatique et de regarder qu’elles sont les choses de cet idéal que je peux intégrer dans mon système, et celles encore trop compliquées, sur lesquelles on a pas encore trouvé de solutions. Un jardin idéal, ce serait une forêt !
Vivre exclusivement du métier sur de toutes petites surfaces
Comment parvenez-vous à dégager des revenus avec aussi peu de surface ?
On s’appuie sur les caractéristiques des légumes. Notre critère, c’est de générer beaucoup d’euros au mètre carré. Soit parce que ce sont des légumes qui coûtent cher, du fait du travail associé comme le mesclun, soit parce que ce sont des légumes qui poussent très vite et qui permettent de faire trois, voir quatre rotations dans l’année.
Et concrètement ?
Depuis peu, je suis seul associé, ce que je considère comme une période de transition. Léa et Mary ont intégré la Microferme en tant que stagiaire Test Installation Transmission. C'est un statut (spécifique à la région Rhône-Alpes) qui permet de travailler ensemble avant de devenir associés. On gagne assez pour en vivre et pour que ça puisse continuer. On paye nos factures. On est en dessous du SMIC. Pour 40, 45h par semaine, sans bosser les week-ends et on arrive à prendre quatre à cinq semaines de vacances par an. C’est correcte pour du maraîchage. Pour l’instant, c’est comme ça. Quand on arrivera au SMIC avec une organisation qui roule, je pourrais dire que nous aurons réussi. Dans l’univers de l’agriculture urbaine, il y a beaucoup de projets qui se sont stoppés. Mais pour le moment, la réussite, c’est qu’au bout de cinq ans, nous soyons toujours là, uniquement avec une activité agricole.
Ce que Philippe explique, c’est que dans de nombreux cas, l’activité agricole est un support à des activités pédagogiques ou de sensibilisation, de la restauration ou de l’événementiel, souvent monté sous forme associative. Pour la Microferme des États-Unis, ce n’est pas le cas. Pour Philippe, être en multiactivité était trop lourd, trop compliqué et avec davantage de compétences et d’énergie à mobiliser. Aujourd’hui, l’activité de maraîchage est établie et plus solide. Alors s’associer avec quelqu’un qui possède les clés d’autres univers et de concevoir une synergie, pourquoi pas.
Cultiver dans un environnement urbain
Avoir beaucoup de légumes, c’est attractif pour les clients. Surtout les particuliers. Mais ça demande aussi plus d’attention et de travail en amont, car chaque légume est différent. De plus, nos surfaces sont toutes petites. Donc, on ne peut pas se permettre de monopoliser un coin pendant six mois pour ne produire qu’une seule variété (comme les courges et les petits pois par exemple). Sur cette parcelle, on a des légumes bottes : carotte, blette, navet, radis. On a tout ce qui est jeunes pousses et salade, principalement du mesclun avec au moins cinq variétés Comme ici, on a du wasabino qui a un goût de wasabi et de la moutarde. On fait beaucoup de plantes aromatiques. Du basilic, du persil plat, de la coriandre. Sur l’autre parcelle, qui se trouve dans le 7e, on a un petit peu de légumes fruits. On y fait aussi des cébettes, des betteraves, cinq ou six sortes de menthe, de la ciboulette, du gingembre frais, des laitues asperge, le pourpier, la ficoïde glaciale... On fait aussi pas mal de minis légumes pour les restaurants gastronomiques.
Avec quel écosystème dois-tu composer dans un jardin urbain ?
Quand on a commencé, c’était un désert. Aucune faune. Ni auxiliaires (ceux qui aident), ni ravageurs. Dès qu’on a mis en place l’irrigation en 2020, les insectes sont venus pour boire. Au fur et à mesure que les racines exploraient le sol, qu’elles ont commencé à laisser de la nourriture, et les décomposeurs sont arrivés. On a eu les premiers vers de terre, ceux de surface au bout d’un an. Et ça vient progressivement.
Pour tout ce qui est «grosses bêtes» ; c’est différent. On n’a pas de hérissons pour manger les limaces, mais on n’a pas non plus de lapin, de chevreuil ou de sanglier, pour dévorer les légumes ou faire des dégâts. Par contre, il faut composer avec les humains.
Notre idée, c’est d’apprendre à coopérer plutôt que de sécuriser tous les espaces. On ne pourrait pas. Donc, on doit trouver des stratégies.
Ça cause quel genre de problème ?
Ce n’est pas tellement le vol, mais plutôt la manière de partager l’espace. On a le City Stade à quelques mètres. Les ballons sortent de la zone, rebondissent ici, et l’enfant va venir le récupérer en piétinant les cultures... Notre idée, c’est d’apprendre à coopérer plutôt que de sécuriser tous les espaces. On ne pourrait pas. Donc, on doit trouver des stratégies. Bien s’intégrer dans le quartier et faire en sorte que les gens nous connaissent. Que ce ne soit pas juste un jardin dont on ne saisit pas l’intérêt. On explique aux enfants où marcher pour que ça n’abîme pas notre travail. On a aussi des stratégies de diversion ! Dans nos haies, on a mis des framboisiers et des groseilles à maquereaux. Si les gamins veulent prendre des trucs, ils vont vers les framboises à portée de doigts au lieu de prendre des carottes ou des blettes. C’est plus fatiguant à ramasser et c’est moins attrayant ! Du moment que nous ne les cultivons pas - les framboises - ça ne demande pas beaucoup d’entretien et tout le monde est content.
Au début, les gens nous prédisaient beaucoup de vol et de dégradation. C’est vrai que deux gamins en deux heures, peuvent tout ravager. C’est très fragile. Mais ça ne nous est jamais arrivé. Pas au point de mettre en danger notre économie. On se limite aussi sur la production de légumes fruits comme les tomates. C’est trop attrayant et exposé. Les courgettes, les fraises n’en parlons pas. On a déjà essayé ici, mais on ne les a jamais récoltés. Il y a toujours quelqu’un qui passe avant !
Il est 9h, le soleil illumine toute la parcelle. Les murs blancs des façades nous aveuglent. Philippe a presque fini de récolter ses jeunes pousses. Léa ramasse des carottes. Ils ne vont pas tarder à les mener en salle de nettoyage. Ils se retrouvent dans la petite cabane et font un point. Les caisses de légumes forment une tour de deux mètres de haut, en équilibre sur un diable. Carotte, mesclun, fleurs, salades. Philippe se met en route. Une déambulation de plusieurs centaines de mètres entre les zones de stationnements, les barres d’immeuble et les montées sur les trottoirs, pour parvenir jusqu’à un sous-sol. Dernière marche et c’est l’entrée au QG. Il leur a été mis à disposition par Grand Lyon Habitat. Ça s’est fait petit à petit. Au départ, il n’y avait même pas de toilette.
_ et voilà ! Je prépare du café.
Nous entrons dans une minuscule pièce d’à peine 10m2. Devant nous, un bureau sous une toute petite fenêtre, une étagère avec des livres, revue et catalogues de graines. Le mur de gauche est entièrement occupé par un grand planning permettant l’organisation des commandes, des récoltes et des plantations. Tout est passé à l’avance. Ils peuvent minimiser la perte et s’adapter aux besoins de leurs clients. En démarrant, la Microferme se destinait aux particuliers. Installée sur une zone d’habitation très dense, cela paraissait logique. Mais l’absence d’une grande diversification n’a pas permis de faire venir une clientèle régulière et suffisamment nombreuse.
Philippe : Les fidèles ont envie de nous soutenir, soit par conviction écologique, soit parce qu’ils aiment le quartier. Mais ce n’est pas vraiment pratique pour eux. C’est le facteur qui nous limite dans l’augmentation de la vente aux particuliers.
En parallèle, l’opportunité de vendre à des restaurants s’est présentée. Et ça leur a plu. Bien adapté à leur mode de culture mais aussi intéressante pour faire des tests à partir de demandes spécifiques. Au final, 80% du chiffre d’affaires vient des restaurateurs, pour 20% de particuliers.
L’agriculture a besoin de beaucoup de candidats à l’installation pour renouveler les fermes et éviter qu’elles ne deviennent gigantesques, de plus en plus industrialisées et aux mains de grands groupes privés. Et le plus gros vivier de personnes à convertir, c’est en ville !
De l'engouement à la réalité
Qu’est-ce qui freine l’essaimage des fermes urbaines ?
On en revient souvent à la même problématique, à la campagne comme à la ville : c’est l’accès au foncier. À Lyon ce sont de grosses structures, avec beaucoup d’intermédiaires à convaincre (entreprises, collectivités, bailleurs sociaux...). Non seulement ce n’est pas un propriétaire tout seul qui décide de ce qu’il va faire de son terrain (donc ça complique la prise de décision), et en plus, ce n’est pas du tout un reflex que d’imaginer ce genre d’activité. Quand l’intention vient du maraîcher, cela demande des compétences bien spécifiques pour aller trouver tous les interlocuteurs, comprendre leurs besoins, leur manière de réfléchir et de monter un projet avec eux. Sur ce terrain, c’est l’association Place au Terreau qui a joué ce rôle d’interface. Ils sont venus me voir pour que je puisse apporter mes compétences et mon regard sur le modèle économique, ils ont convaincu Grand Lyon Habitat, qui a géré le foncier, le planning de rénovation, le budget et le juridique.
Quand je travaillais sur le toit du siège de Groupama, c’est le service Mécénat et partenariat qui gérait. Le jardin devait être accessible, même si je n’étais pas là, que chaque légume soit reconnaissable, avec des étiquettes. C’était une mise en valeur du partenariat à travers un jardin d’apparat. Ici, c’est le service qui s’occupe d’améliorer le cadre de vie pour les habitants qui a porté le projet et notamment une personne qui en a vu l’intérêt. Elle a su imaginer le potentiel - parce qu’il n’y avait pas tellement d’exemple ailleurs, et passer outre les préjugés. Ce qu’on me demande, en plus que le jardin soit entretenu, c’est qu’il y ai une vente sur place et que les habitants puissent y avoir accès sans que les prix soient exorbitants. Que leur cadre de vie soit amélioré et qu’ils puissent s’en saisir un peu.
Un projet porteur d'avenir pour l'agriculture
Ce projet, Philippe l'a bâti pour répondre à ses préoccupations mais aussi pour agir dans l'intérêt de biens communs. Il contribue à créer des circuits ultra-courts pour les légumes. En favorisant le développement de la biodiversité et la dés-imperméabilisation des sols, il propose un modèle économique inspirant tout en permettant de tisser des liens entre la production alimentaire et le monde urbain.
Qu'est-ce que tu retiens de plus marquant ?
Philippe : Les habitants nous voient travailler, ils apprennent des choses sur l’agriculture, ils nous posent des questions. Des entreprises et des collectivités viennent s’inspirer du modèle pour développer des projets similaires... mais avec le recul, l’intérêt principal que je constate, c'est de permettre la conversion des urbains vers les métiers agricoles. Moi y compris. Car avec cette formule, malgré les contraintes à être sur de petites surfaces, on ne se coupe pas de son milieu d'origine. Et c'est très important. Je n'ai pas quitté mon logement, ni mon cercle d’amis, ou mon environnement social... le saut dans l’inconnu est quand même moins violent. Et on peut revenir en arrière plus facilement. L’agriculture a besoin de beaucoup de candidats à l’installation pour renouveler les fermes et éviter qu’elles ne deviennent gigantesques, de plus en plus industrialisées et aux mains de grands groupes privés. Et le plus gros vivier de personnes à convertir, c’est en ville !
D’ici à quelques années, Philippe a décidé de passer le cap et de s’installer dans l’ouest lyonnais pour produire en milieu rural. Il a fait le tour de son expérience en ville et souhaite s’ouvrir à de nouveaux défis.
Actualités
La ferme ouvre sa vente en accès libre 18 septembre de 16h à 19h à l’occasion de la fête de l’automne de Grand Lyon Habitat. Vous pourrez découvrir tous les acteurs du projet et les rencontrer au 298 Av. Berthelot, 69008 Lyon
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