38 ans d'alternatives écologiques - souvenir N°6
Publié le 14 octobre 2023
AVERTISSEMENT - cet article n’est pas sponsorisé
La 38e édition du Salon Primevère, rendez-vous de l’écologie et des alternatives se prépare. Elle aura lieu, comme à son habitude à Eurexpo, au printemps prochain.
Le 17 février dernier, j'étais présente à la 37e édition. 37 ans. Vendredi 17 février, s’était aussi le jour de mon anniversaire. Le jour de mes 37 ans.
37 ans.
37 années mesurables en propositions d’alternatives. Les larmes montent. Des larmes amères. Beaucoup de tristesse. Si aller sur ce salon permet de retrouver de l’énergie, de rejoindre ceux qui changent le monde sans attendre de leurs dirigeants l’autorisation, je ne peux m’empêcher d’être profondément meurtrie par ces quarante années déjà passées durant lesquelles certains poursuivent impunément la destruction des biens communs. Que l’écologie devienne une préoccupation majeure, inconditionnelle, fédératrice était déjà défendue et clamé il y a quarante ans et plus avant encore. Les années 70 ont connu leurs prédicateurs. Engloutis, démentis, ridiculisés par la pensée commune que le capitalisme, l’ouverture des marchés, la mondialisation, permettrait la démocratisation du progrès et l’accès au confort. Que ceux qui pressentaient des catastrophes à venir étaient des rabats-joie, des arriérés. Que ceux qui s’opposaient à la consommation démesurée ou appelaient à un équilibre manquaient de raison. Et aujourd’hui, nous avons franchi des paliers qui ne nous permettront pas de tout sauver. Aujourd’hui, nous devons accepter de très lourdes conséquences.
Alors certes en 2023, les choses s’accélèrent, la conscientisation gagne du terrain, mais attention au diable qui se cache dans les détails. Il est fondamental d’aller vers l’information, de se poser des questions, de vérifier les intentions. Quels sont enjeux ? Qui parle ? Les modèles de fonctionnements sont-ils vraiment remis en cause ? Est-ce que chaque acteur - du vivant à l’homme - est libre et respecté ? Les intentions premières sont-elles de préserver les ressources, de créer des cercles vertueux et de permettre l’accessibilité aux ressources pour toutes et tous ? Quand une célèbre marque annonce un café Bio en capsule compostable avec un soutien à la ré-implantation de la caféiculture au Congo, respectueuse des écosystèmes, comment penser que ce soit compatible avec une distribution mondialisée ? Comment ne pas voir à côté de ce café, la privatisation des sources d’eau, l’accaparement des productions de café, la pression de productivité et la production de déchets plastiques ?
Leur pouvoir est de nous faire croire que nous pouvons ne rien changer puisqu’ils s’en préoccupent.
Il y a quelques mois, Terre de Lien alertait sur les grands enjeux de l’alimentation en tirant le fil de la propriété agricole. En collaborant avec Partager c’est sympa, Terre de Lien vulgarise son enquête de terrain inédite et permet au contexte de devenir lisible. C’est un travail fondamental.
Nous devons avoir conscience de ce qui se joue pour choisir qui soutenir. Notre pouvoir est ici. Dans ce qui nous uni en tant qu’être humain.
Nous sommes des êtres sensibles et pour avancer, nous avons besoin de soutien, de reconnaissance, de lien. Soutenir directement les producteurs respectueux des ressources, s’intéresser à ce qu’ils traversent, faire preuve de bienveillance, par des petits mots, par de petites actions, participe à créer de l’élan, de la conviction, de la force pour poursuivre les efforts.
Vous qui lisez ses lignes, avez-vous déjà essayé de cultiver quelque chose chez vous ? Depuis la graine jusqu’au plant adulte ? Avez-vous déjà observé et encouragé la nature à pousser, à grandir ? Qu’avez-vous ressenti ? Ces questions, je les ai posées à des maraîchers et à des particuliers. Devinez quel a été le dénominateur commun... L’émotion. L’attachement au végétal et le besoin de le protéger, de le soutenir, de l’encourager à grandir. L’immense joie et fierté de voir le végétal devenir fort et prospère. La difficulté aussi et la tristesse après un échec. Une tristesse pas seulement vis-à-vis de soi, mais partagée avec un autre être vivant. La tristesse de voir la plante s’éteindre et mourir. Être un paysan, ce n’est pas chevaucher un tracteur encombrant, lent et bruyant. Ce n’est pas mettre des bottes de caoutchouc. C’est porter la terre avec soi, constamment.
C’est savoir lire et comprendre un paysage et accompagner sa diversité pour en tirer le meilleur. Pour les êtres humains comme pour les autres êtres vivants. Mais c’est un travail harassant, éreintant et fragile.
Et pourtant si précieux.
Retrouver le salon Primevère, c’était pousser la porte de la maison de mon enfance, la retrouver intacte avec ses odeurs et ses visages. Reconnaître chacun des idéaux qui tenaient les murs et chacune des visions ouvertes sur le jardin. Les senteurs et les gestes de bon sens, quand l’humain cherche à comprendre et s’inspirer de ce qui l’entoure plutôt que de le soumettre. Quand l’intelligence se range au service d’une voie difficile pour gagner en liberté, en synergie et en respect.
J’avais moins d’une dizaine d’années quand nos parents nous ont embarqués avec eux sur leur stand. Randonnée en âne, vente de confiture et jus de pomme bio, éducation à l’environnement, classe verte. A l’époque, pas de site internet, pas de réseaux sociaux. Des tracts, des brochures, des salons, du bouche à oreille et les pages jaunes.
Ils nous avaient emmenés pour l’expérience je crois. Pour que nous puissions vivre nous aussi cette effervescence, ce bouillonnement d’idées et d’actions.
Nous faire découvrir la ville aussi. La grande. Celle qui permet de regrouper, de fédérer. Mais pour moi, s’était une première fois dans une immensité goudronnée et anonyme : Lyon. J’avais décidé de l’observer comme un feuilleton. Une chose extérieure à soi que l’on pourra quitter à volonté pour retourner dans son monde.
Je me rappelle les échangeurs depuis la vitre de la voiture. Des enseignes, du béton, des parkings. Pas de peur. Pas de panique. Je viens en privilégiée, enfant des montagnes en visite dans un monde que j’estime en déclin, inapproprié, coupé de l’essentiel. Et je viens pour parler de ce qui se fait de bien. Enfant, on a besoin d’une balance bien / mal. Et j’étais fière de représenter cette part infime de ceux qui s’interrogent sur les impacts de leur passage. Je le voyais à l’école, je le sentais dans le village, je le comprenais des discours entendus à la maison.
Mes parents étaient difficilement classables au regard extérieur. Ce n’étaient pas des néo-ruraux ayant tout plaqué pour s’installer avec des chèvres. Ce n’étaient pas des post soixante huitards et ce n’étaient pas les membres d’une secte. C’était une bande de copains qui, à force de discuter le soir sur comment changer le monde avaient décidé de se lancer. Leur quête d’une société plus juste s’est traduite par la construction de nouveaux modèles. «Ça n’existe pas ? Inventons-le !» Ils étaient issus du scoutisme et c’est en partie, ce qui leur a donné la permission de faire par eux même. Leur point de départ : comment combiner un métier tout en respectant son environnement et les hommes ? L’économie doit les servir, non l’inverse. Ne pas avoir à faire de choix entre sa famille, son travail, ses valeurs. J’ai toujours entendu ma mère se positionner dans ce sens. En tant que femme, elle ne voulait pas avoir à choisir mais tout combiner. Et c’est pourquoi j’ai grandi dans leur travail.
Primevère était un outil pour présenter, confronter et s’inspirer. Parce que chaque démarche est différente, chaque posture et chaque choix. Si la finalité est la même : préserver et contribuer à un monde durable, ce sont finalement toujours des hommes et des femmes avec leur particularité, leur culture, leur parcours de vie qui sont à l’initiative des mouvements, des règles, des cadres.
Primevère, c’est avant tout une odeur de sève de bois, d’épicerie vrac, de céréales torréfiées, de fruits secs, de plantes sèches, de cuir et de savons naturels. Ce sont des bruits de livres, de matière brute, c’est une chaleur de laine et de coton. Des couleurs ocre, beige, marron et rouge.
Avec ma sœur, nous nous perdions volontairement dans les allées de stands. On court, on se fait peur et on retrouve nos marques. On repère vite les étales de dégustation de miel, de confiture de lait, de pain d’épice et de charcuterie. Nos mains piochent, plongent les cuillères de bois dans les pots ouverts. On se carapate dès que les sourcils se haussent.
Et notre repère devient très vite l’espace Kapla. Il faut dire qu’à Primevère, l’inclusion des enfants a toujours été une marque de fabrique. Un espace sécurisé dans lequel les règles sont claires, la question de l’autonomie et de la responsabilité aussi. L’éducation populaire, l’intégration des enfants dans les enjeux de société se font par le jeu et par les activités manuelles. On avait à notre disposition des montagnes de Kapla et de modèles pour construire girafe, éléphant, tour infernale, temple, train, géode, pont suspendus. On était guidé si on le souhaitait, on pouvait s’intégrer à des constructions en cours ou faire de notre côté. Il y avait des ateliers créatifs avec plein de matières tissus, bois, feuilles, laine, et de nombreux outils pour apprendre à fabriquer ses propres ustensiles du quotidien.
On partait du stand pour naviguer entre tous ces espaces. On venait reprendre des forces, assises sur une chaise derrière nos parents qui ne s’arrêtaient jamais de parler. Et parfois, plus tard, on a commencé à renseigner des visiteurs urbains. Être affables et souriantes mais avoir pitié de leur l’absence de connaissance/expérimentation quotidienne des milieux naturels dans leur vie.
Peut-être ressentaient-ils la même chose pour nous ? Enfants en vadrouille, trop libres, trop impliquées dans le monde des adultes ?
Le soir, je fis ma première expérience gustative. Au restaurant Villemanzy, montée St Sébastien. Rien à voir avec la culture parentale. Des amis lyonnais dans le partage, étaient juste heureux de nous faire découvrir cette adresse, cette vue magnifique de leur cité. Et proposer leur beauté. Je n’ai pas de souvenirs de cette vue de lumières. Je me rappelle le velouté de courge et sa croûte de feuilletage. J’ai découvert la porcelaine blanche passée au four, les serveurs en noir et blanc, liteau immaculé sur le bras. Doubles verres à pied. Lumière dansante dans les bouteilles de vin, bougie vacillantes sur les tables. Adultes lancés dans leurs discussions passionnées, et nous, en pleine excitation.
A l’époque où l’on sortait du restaurant après minuit, quelques pas Avenue de la République. Je me souviens avoir pensé : il y a autant de gens la nuit que le jour ! J’étais impressionnée. Un autre monde s’offrait encore. Et nous ne faisions que passer.
Si vous avez raté l’événement, je vous invite à vous rendre sur le site du Salon Primevère. Et à prendre connaissance du prochain ! Par ailleurs, Les contenus des conférences, des intervenants et des exposants des sessions passées y sont disponibles.